Goliarda Sapienza, la résurrection permanente
Le terme et l’idée d’archipel, pour définir l’œuvre unitaire et disparate, intermittente et faite de profondes imbrications et de continuité souterraine de Goliarda Sapienza, ne sont pas de moi. Ce mot surgit dans la seconde page du petit texte d’Angelo Pellegrino paru au Tripode en 2015 Goliarda Sapienza, telle que je l’ai connue. Sa justesse frappante fait qu’il a été souvent repris. Je m’en empare à mon tour aujourd’hui.
Mais au moment de le faire, une curiosité inhabituelle m’a poussée à regarder ce qu’en disaient exactement les dictionnaires. Et c’est ainsi que je suis tombée sur la définition de Wikipédia, citée ci-dessus ; tout y est-il juste ? Point par point, l’ensemble renvoie en tout cas un écho étonnant.
La terre de Goliarda Sapienza est une île. La proximité d’un volcan marque sa ville natale, cette ville « de lave » : Catane est indissociable de l’Etna ; et la mer dangereuse et régénératrice autant que le feu du volcan. Ces éléments inscrits dans son être se retrouvent dans ce qui va naître de Goliarda. Correspondance que l’emploi assez abstrait du mot d’archipel n’incluait pas, mais à quoi m’amène, en passant, le regard que j’y pose.
Parmi les îles distinctes qui constituent son œuvre, l’une, la plus élevée, attire d’abord l’attention et risque d’occulter toutes les autres. Maintenant que L’Art de la joie a été découvert, sa dimension et sa beauté n’ont cessé de mettre en péril ce qui l’entoure, le précède et le suit ; car on n’ose dire l’annonce et le prolonge, tant chacune des îles est spécifique. Et la surprise est grande de tomber sur des climats et des paysages si différents : après l’arrière-pays, le couvent, la villa héritée de l’aristocratie possédante, devenue phalanstère libérateur, voilà que s’élève une maison aux habitants divers, le peuple de sa cour et de ses bassi se prolongeant dans le foisonnement d’un quartier de Catane malfamé et plein de fascination ; voici qu’apparaissent Catane et ses maléfices nocturnes ; et que s’ouvre sa plage où se décomposent les méduses sous le soleil brûlant, et qu’ailleurs s’ouvrent des criques enchanteresses. Et s’ouvrent des grottes naturelles où dort ou guette un géant, et en ville l’antre enchanté d’un marionnettiste. Il y a des nages vers un rocher marin, le même quoique différent. Mais soudain le voyage qui nous environnait de légendes autant que de faits quotidiens nous entraîne dans des méandres psychiques. Et puis dans les couloirs souterrains d’une prison, et ses cellules et sa cour avec ses figures nouvelles, et le romanaccio des détenues remplaçant le sicilien de naguère. Et puis dans une Rome souterraine et périphérique, jusqu’à une réunion semi-clandestine, et alors l’île où la cité, effaçant presque la nature, s’est invitée, résonne de propos politiques, à quoi répondent des échos provenant de l’espace entier de l’archipel, comme s’y renvoient en écho les mêmes noms familiers, les prénoms rapportés de l’ineffaçable enfance. Un îlot déconcertant, un...