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Intemporels La nature, miroir de l’être

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240 | par Didier Garcia

Avec La Montagne vivante, Nan Shepherd (1893-1981) nous entraîne en Écosse, pour observer le paysage et y découvrir ce que nous sommes.

Dans ces pages, pourtant exclusivement consacrées à la montagne, vous ne trouverez aucune expédition au long cours (avec camp de base, attente d’une météo favorable, et conditions dantesques d’ascension), pas de course aux records, pas de sommet mythique à atteindre… La plupart des noms propres que vous croiserez ne vous diront probablement rien, à commencer par ces Cairngorms, qui furent le terrain de jeux de l’Écossaise Nan Shepherd tout au long de sa vie (situés au cœur des Highlands dans le nord-est de l’Écosse, et d’une superficie équivalente à celle du Vercors, leur point culminant, le Ben MacDhui, s’élève à seulement 1309 mètres – pas de quoi rivaliser avec l’Annapurna), un plateau montagneux qu’elle a arpenté par tous les temps, en toutes saisons, de jour comme de nuit, et qui constitue le seul et unique décor du volume. Tout juste ces noms-là auront-ils à vos yeux un petit côté exotique, mais comme malgré eux : Lairig Ghru, Dubh Loch de Ben a’ Bhuird, Etchachan, Allt Druie, vieux noms gaéliques qui paraissent dater d’un autre temps.
Ce qui intéresse Nan Shepherd c’est moins ce qu’elle y fait (elle parle d’ailleurs rarement d’elle) que ce grand tout qu’est la montagne, dont la contemplation réclame du temps (« Je sus après avoir longtemps regardé que j’avais à peine commencé à voir »). Cette approche holistique la fait se pencher aussi bien sur la flore et la faune locales (l’aigle et le cerf élaphe en particulier) que sur l’eau, le silence, les nuages, la neige (avec ses nuances de couleur), la glace et les formes qu’elle peut prendre, ainsi que sur ceux qui ont laissé leur vie dans son décor d’élection (faute d’avoir correctement estimé la puissance de cette montagne moins sage qu’elle ne le paraît : « la rapidité du brouillard est l’une de ses qualités les plus mortelles »). Autant de facettes qu’elle explore les unes après les autres dans les douze textes que comporte ce volume, et qui témoignent d’une connaissance très fine du milieu qu’elle évoque, née d’une fréquentation qui remonte à l’enfance, même si l’auteure note que « la chose à connaître progresse en même temps que la connaissance ». Nous la voyons capable de percevoir les différences entre un paysage aperçu l’hiver et le même paysage en été, ou vu le matin plutôt que le soir. Et nous la découvrons attentive aux plus infimes détails, notant par exemple les traces des animaux dans la neige ou s’arrêtant sur les racines de certains végétaux.
Écrit durant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale et seulement publié en 1977, La Montagne vivante est un recueil de textes qui n’appartiennent à aucun genre mais qui paraissent avoir hérité à la fois du poème en prose, du récit, de l’essai et de la chronique. Parce qu’il tient de l’inventaire, il offre au lecteur une grande variété d’approches et se prête donc à plusieurs lectures (chacun peut d’ailleurs venir y picorer librement, sans se contraindre à une lecture linéaire, en se laissant solliciter par les éléments présentés dans la table des matières).
Que retenir de cette somme, qui condense sur moins de deux cents pages « toute une vie passée en compagnie de la montagne »  ? Inutile de chercher ici un message tant soit peu écologique, et encore moins une morale prête à l’emploi. Bien que tournée vers l’extérieur (l’objectif premier étant de présenter les innombrables beautés du site), l’entreprise de Shepherd est avant tout ontologique : comme il l’est pour Peter Matthiessen dans Le Léopard des neiges, le voyage en montagne se double d’un voyage dans les profondeurs de l’être, qui vaut rencontre avec soi-même. Dans sa lecture du paysage qui l’entoure, laquelle passe par tous les sens (« sentir la bruyère sous ses pieds après une longue abstinence est une des joies que je chéris le plus »), c’est surtout elle-même qu’elle découvre.
Malgré la rigueur de son climat (les Cairngorms sont en quelque sorte l’Arctique de la Grande-Bretagne, que le marcheur fréquente le plus souvent « dans les nuages, le brouillard, le vent, la grêle, la pluie, et même un blizzard »), et la vie précaire qu’elle offre à ceux qui y vivent, Nan Shepherd parvient à rendre cette chaîne montagneuse désirable : « la montagne se donne le plus complètement quand je n’ai pas de destination, quand je ne cherche pas un endroit particulier, quand je suis sortie rien que pour être avec la montagne comme on rend visite à un ami sans autre intention que d’être avec lui ». C’est une performance qui vaut bien des sommets beaucoup plus prestigieux que ceux qu’elle tutoie dans ces pages.

Didier Garcia

La Montagne vivante
Nan Shepherd
Traduit de l’anglais par Marc Cholodenko,
Christian Bourgois, 176 pages, 17

La nature, miroir de l’être Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
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