La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

En grande surface Modernitude

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240 | par Pierre Mondot

Conséquence de l’audit réalisé à l’hiver par un cabinet de conseil anglo-saxon, l’antépénultième du Matricule passe désormais sous le régime de l’alternance. Face au succès grandissant de la revue, la rédaction invoque la nécessité de voix plurielles et l’ouverture au public racisé. Soit. On suspecte pourtant derrière ce tournant inclusif un objectif plus insidieux : ringardiser cette chronique. Qu’à cela ne tienne, pour preuve qu’on reste ingambe (et parce qu’il nous manque des annuités), on commentera pour février un livre bath. Le prix de Flore, par exemple, qui distingue « un jeune auteur au talent prometteur ». Le lauréat reçoit six mille francs euros et « un verre de Pouilly-Fumé (…) à déguster toute l’année » précise le site officiel. Cette année, c’est Joffrine Donnadieu qui trinque avec Chienne et louve. Huit voix contre quatre (à Emma Becker). Au PS, pareil score vaudrait plébiscite.
Donnadieu ? L’auteure s’est choisie pour pseudonyme le nom de baptême de Marguerite Duras. Joffrine ? Aucun rapport avec l’ancien patron de Libé, le prénom rend hommage au vainqueur de la Marne, admiré par le père militaire à égalité avec le général Bigeard dont il « possède tous les livres ». La jeune femme l’a échappé belle.
Ce second roman prolonge directement le premier, Histoire de France. Titre leurre : rien sur Clovis ni sur Marignan, mais les tribulations de la petite Romy, abusée à 9 ans par France, sa voisine. Dans le domaine des agressions sexuelles, le créneau femme mûre/petite fille restait vacant. Joffrine y fiche son drapeau. On suit ainsi les rebonds du personnage au long du jeu de l’oie post-traumatique : scarifications, anorexie, boulimie, viol (reculez de trois cases), tentative de suicide.
On retrouve l’héroïne dans Chienne et louve. L’adolescente a mûri et se raconte désormais à la première personne. Ça va presque mieux : elle a quitté Toul pour Paris, travaille dans une boîte de strip-tease et se prostitue à l’occasion pour financer ses études au cours Florent. L’apprentissage de l’art dramatique structure le roman, découpé en trois parties, du nom des personnages interprétés lors de l’examen de fin d’année. Mirandoline (La Locandiera), manipulatrice. Blanche (Un tramway nommé Désir), mythomane. Sabina (patiente et maîtresse de Jung, Parole et guérison), cinglée. On a tous en nous quelque chose de Tennessee sauf Romy, qui en bave : « Je cherche Blanche dans mes entrailles. (…) Je vois mes mains s’enfoncer dans mes viscères, les malaxer jusqu’à saisir la gêne qui m’empêche d’avancer. Mes doigts trifouillent mes boyaux, ils finissent toujours par retirer un caillot de sang, une quantité de mousse au fond de mon vagin. » Aussi, lorsque la narratrice s’inquiète à l’idée d’incarner la figure de Sabina (« Comment vais-je jouer l’hystérie ? »), on pense que ça devrait aller.
Parallèlement, Romy a trouvé un logement chez Odette, une vieille bigote auprès de qui elle officie comme auxiliaire de vie en échange du loyer. L’octogénaire l’a surnommée « Zoline » parce que son existence, on croirait du Zola. C’est vrai qu’on souffre beaucoup chez la Touloise. Dans le premier tome, la mère a contracté la maladie de Crohn, le père est alcoolique, le grand-père a la main broyée et il manque un index à Martin, son meilleur ami. Une tendance de la littérature contemporaine (dans les grandes maisons d’édition, au mois de janvier, plus personne n’ose se souhaiter une bonne année). La cohabitation connaît des hauts et des bas. Parfois les deux complices jouent à « Minuit-Ménagerie » : « nous sortons les animaux en verre de la vitrine (…). Assises face à face, nous nous répartissons les bêtes, c’est Odette qui choisit la première. Elle invente un scénario. » Une probable mise en abyme du processus créatif de la romancière. Mais à d’autres moments, l’ambiance se tend et Romy, qui confond le jeu et la performance, la scène et l’obscène, sadise Odette comme jadis Banier Bettencourt : « Je la gifle, bruit de mâchoire décrochée, elle tombe sur le fauteuil, assommée (…). Je ligote Odette au fauteuil. (…) Je la maquille : blush rose bonbon, gloss à paillettes, vernis orange corail sur ses ongles. (…) Je prends Odette en photo avec son Kodak jetable, réalise plusieurs clichés. »
Comme dans Pretty Woman, Romy est sauvée par un avocat d’affaires richissime, le bien nommé Jean Sauval. Le type a tous ses doigts, mais pleure son fils parti trop tôt lors d’une chute de vélo. Par ailleurs, on le soupçonne de voter Reconquête : il « murmure au creux de mon oreille que mon corps est son pays. »
Selon Frédéric Beigbeder, juré n°1 : « Chienne et louve (…) est une gifle absolue, il est temps que cela se sache. À côté Virgine Despentes, c’est la comtesse de Ségur ». L’ancien publicitaire aura encore tendu la joue. Et se trompe doublement. Un : la comtesse n’est pas aussi innocente qu’il le croit. Deux : Despentes est romancière, Donnadieu joue à l’être. Mais se heurte, cette fois, à un vrai rôle de composition.

Modernitude Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
LMDA papier n°240
6,90 
LMDA PDF n°240
4,00