Un livre

Rehaïkus

de Reha Yünlüel

Editions Petit Véhicule

Un haïku est censé célébrer l’évanescence des choses et les sensations qu’elles suscitent et ce de manière fugace, brève. Les Rehaïkus que propose Reha Yünlüel « libres de toute contrainte de forme et de thème » se présentent comme des roues carrées que la peur de l’immobilité libère dans l’espace et le temps. Ils trébuchent, s’affolent, se rattrapent aux branches, vibrionnent tels des faucons crécerelles au vol en saint esprit, développent un accent incroyable, celui de derviches tourneurs férus de pataphysique et accessoirement oiseleurs. Bilingues, répertoriés en chiffres romains, ils se démultiplient pour atteindre le nombre incroyable et arabe de 803. À noter que l’auteur est né en Turquie en 1967 et vit à Strasbourg frayant dans un milieu de juges et d’universitaires. Sa vision de l’art est totale puisqu’il est à la fois poète, photographe, cinéaste et éditeur de la revue bachibouzouck.com.
Reha Yünlüel est un œil et ses Rehaïkus, un carnet d’ophtalmologie. « pour Aytekin qui s’interroge :/ “Que voit le caméléon/ lorsqu’il regarde dans un miroir ?“/ C’est souvent le miroir/ qui est le caméléon/ il montre ce qu’on veut bien y voir. » Un œil a toujours besoin de main et ainsi celle de Firuz Kutal ne se contente pas d’illustrer les poèmes mais les pénètre si bien qu’on ne sait plus qui de l’œuf ou de la poule a bien pu engendrer l’autre. Si la vision est ici une activité prédominante, l’invention d’une beauté atypique claudicante voisine avec le ressenti d’un monde acéré et totalitaire, d’un amour souvent barbelé et de l’amitié en port d’attache. « l’assiette de la guerre civile/ qu’on appelle aussi amour/ est sale/ et parlent toujours avec entrain/ de la défaite/ les couteau, cuiller, fourchette ( : )/ et viiiive la victooooire/ apatride ! » Reha Yünlüel est un douanier sans frontières qui consigne la fuite du vent dans ses amours avec le sable. Superbe travail éditorial tout cousu de fils blancs…

Dominique Aussenac

Rehaïkus
Reha Yünlüel
Traduits par Belkis Sonia Philonenko et Pascale Gisselbrecht
Éditions du Petit Véhicule, 128 pages, 30 €