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Traduction Françoise Antoine*

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240

Dette d’oxygène, de Toine Heijmans

Dette d’oxygène

C’est en février 2021 que je lis, à la demande d’un éditeur français, le roman néerlandais de Toine Heijmans Dette d’oxygène. D’emblée, je suis conquise par ce roman d’alpinisme et en recommande vivement la traduction. L’écriture est entraînante, hypnotique, rythmée par des répétitions qui scandent le pas du narrateur escaladant sa dernière montagne. La solitude est totale. Le silence aussi. On n’entend que le sang qui bat à ses tempes – « la gigantesque machinerie de (ses) deux cents os et cinq organes vitaux tremble et claque comme un navire surtoilé ». Le héros ne va pas bien, il va mourir. Comment et pourquoi ? C’est tout le roman qui nous l’apprend, au gré de flash-back sur sa vie, sur celle des grands alpinistes qui ont marqué son imaginaire, au fil de réflexions teintées de nostalgie et d’amertume sur l’alpinisme (et ses dérives modernes), sur l’amitié (et ses trahisons), sur la beauté de la montagne (et sa mortelle indifférence)…
Soumis à la tyrannie du choix, ce premier éditeur n’achètera pas les droits de ce roman. Par chance, la proposition de le traduire me revient par la bande, près d’un an plus tard. Heureuse, j’accepte et me mets au travail. C’est une plongée dans un monde inconnu qui m’attend. Moi que le déchaînement des éléments désespère (une simple pluie battante avec deux sacs de courses suffit à me démoraliser), moi qui vois tout juste ce qu’est un mousqueton, je comprends que je vais avoir besoin d’aide. Dans un premier temps, je convoque Roger Frison-Roche, guide de haute montagne, journaliste et écrivain français, et m’attelle à son fameux Premier de cordée. Tandis que le vieux Jean Servettaz peine dans la bourrasque, éperonné par un touriste américain capricieux dont l’impatience mènera le meilleur guide de Chamonix à sa mort, je note scrupuleusement toutes les expressions plus ou moins mystérieuses qui pourront me servir : aller en course, charger la taque, se dérocher, la grande coulée du printemps, assurer la caravane, tailler des marches à coups de pique et de panne, filer à longueur de corde, chaos inextricable de crevasses et de séracs, névé, rochassier, étroite vire enneigée, cimier festonné de corniches, tricounis, larges semelles bottant dans la neige lourde, anneaux de corde, rognon rocheux, plier, ployer, lover la corde, fixer, filer, lancer, projeter ou dégager le rappel, détacher ou décoller le sabot de neige qui adhère aux crampons… Cinq pages recto verso se noircissent de mots. Les situations auxquelles mes personnages sont confrontés en néerlandais font largement écho à celles des Servettaz, père et fils. Les « traces qui se moulent dans la neige dure » chez Frison-Roche auraient ainsi pu m’aider pour la deuxième phrase du roman de Heijmans, où le pas lourd de mon héros « forme en crissant une empreinte dans la neige, puis une autre ». La formule de Frison-Roche est jolie, elle me tente, mais je dois faire du Heijmans, tant que faire se peut, et choisis de coller au plus près des mots de l’auteur. Cette phrase est d’ailleurs l’une de celles qui me donnent du fil à retordre. Par la juxtaposition créative d’une préposition et d’un verbe, la langue agglutinante qu’est le néerlandais est capable d’évoquer de façon lapidaire une grande variété d’images nécessitant bien souvent une locution plus articulée en français.
Histoire d’élargir encore ma palette de vocabulaire, je convoque Maurice Herzog et entame la lecture d’Annapurna, premier 8000. L’ouvrage est préfacé par Lucien Devies, président du Comité de l’Himalaya et de la Fédération française de la montagne… C’est là que me vient une idée. Car la lecture des plus grands alpinistes français, entrecoupée du visionnage de vidéos sur YouTube pour réaliser un nœud de huit, lover une corde sur les épaules ou comprendre la technique du corps-mort, ne suffit pas à apaiser mon inquiétude. Tous ces gestes, je ne les ai pas faits, or le traducteur sait combien d’erreurs peuvent se glisser dans les interstices d’une formulation ambiguë mal comprise en langue source (mais où met-il son pied ?). Pas plus que les Pays-Bas, la Belgique n’est une terre d’alpinisme, mais je décide de contacter le Club alpin belge pour solliciter un œil expert sur les acrobaties de mes personnages. Le jour même, je reçois le mail d’un certain Jean Bourgeois, qui me dit avoir réalisé « jadis » le même type de travail pour l’édition, chez Flammarion, de la traduction française d’un livre de Chris Bonington. Entre-temps, j’ai acquis ce collector (Everest, ultime défi) de… 1977. Car oui, Jean Bourgeois, ingénieur et astronome, membre du Groupe de Haute Montagne, a 84 ans, et c’est l’un des plus grands aventuriers et alpinistes de notre temps. Frison-Roche, Terray, Lachenal, Herzog, il les connaît tous, il les a côtoyés, il a grimpé avec eux. Lui-même a écrit plusieurs livres1 relatant ses extraordinaires aventures, dont la moindre n’est pas celle où, en pleine ascension de l’Everest, en 1982, il disparut assez longtemps pour être donné pour mort par les journaux, avant de reparaître miraculeusement. Jean Bourgeois me propose non seulement de répondre à mes questions, mais de relire ma traduction. Me voilà sur du velours. Grâce à lui, le lecteur de Dette d’oxygène a même droit à un petit supplément. Car ce roman passionnant de Toine Heijmans, foisonnant d’histoires petites et grandes allant des débuts de l’alpinisme jusqu’à notre ère, a fait resurgir chez l’aventurier une multitude de souvenirs personnels, que je n’ai pas manqué de soumettre à l’auteur néerlandais. Parmi ces souvenirs, un concerne le drame survenu en 1961 sur le pilier du Frêney. Jean Bourgeois connaissait les protagonistes de cette tragédie qui se solda par quatre morts. Intéressé d’apprendre que l’un d’eux était sourd et que c’était son appareil auditif qui avait attiré la foudre sur lui, Toine Heijmans a donc ajouté à son texte quelques mots auxquels seul le lecteur français aura droit, du moins en primeur, jusqu’à la prochaine édition néerlandaise qui les intégrera…

1 Aux Éditions Nevicata, de Jean Bourgeois : En quête de plus grand et Les Seigneurs d’Aryana, préfacé par… Roger Frison-Roche.

*A traduit entre autres Gerbrand Bakker, Jeroen Olyslaegers, Walter Siti. Dette d’oxygène paraît en mars chez Belfond.

Françoise Antoine*
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
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