Marie Cosnay, engagée sans frontières
Si la parution ce mois-ci du deuxième tome de la série Des îles fait incontestablement partie de l’actualité littéraire de ce début d’année, cette actualité n’est rien au regard de ce qui a fait naître ce livre. De l’urgence à dire, garder trace, penser les événements tragiques dont il est question ici : la mort de milliers de migrants dont certains à la frontière entre Espagne et France au Pays basque où vit Marie Cosnay. On pensait partir de son nouvel opus, remonter le cours de l’écriture jusqu’à sa source qui, au début des années 2000 donnait à lire des livres d’une intime nécessité. Mais à peine les premières questions posées, la poète, romancière et essayiste, déployait une parole d’une tension telle qu’il n’y avait alors qu’à l’accueillir, qu’à la recevoir. Une parole libérée, combative, d’une énergie qui semblait venir de loin et peut-être venait-elle d’avant la naissance de l’écrivain, d’une double mort d’enfants qui auraient été sa sœur et son frère mais sont devenus les voix des morts, ses morts à elle, Marie Cosnay, aussi bien que tous les morts auxquels son écriture tente depuis les premiers livres de donner, sinon un tombeau, du moins un territoire. Et de faire que ces morts, que les livres évoquent, que Des îles nomme, soient aussi les nôtres.
Marie Cosnay, Des îles. îles des Faisans 2021-2022 qui sort ce mois-ci fait suite à un premier volume paru en 2021, Des îles. Lesbos 2020-Canaries 2021. Pourquoi ces deux livres ? Pour alerter ? Mais la littérature est un piètre mégaphone. Pour témoigner ? Pour se consoler face à l’horreur ? Pour rendre hommage aux disparus ? Quels rôles donnez-vous à la littérature avec ce travail ?
Des îles, c’est un ensemble documentaire, non achevé, qui s’est donné comme objectif (conscient) de soulever année après année quelques-unes des questions posées par la problématique des frontières fermées. L’observation a comme point de départ la frontière qui sépare l’Espagne de la France, au Pays basque. Certaines de ces questions, on les connaissait déjà : elles intéressent le politique. La question des déplacements empêchés est une des questions cardinales de notre présent et de notre futur proche. Tous les gens qui s’intéressent à cette question (volontaires, experts, citoyens) savent qu’il faut cesser de multiplier, sous l’injonction des discours de haine toujours plus nombreux et audibles en France et en Europe, les lois et amendements aux lois (succession qui ne prouve qu’une chose, que cet arsenal ne fonctionne pas du tout – sinon chacune des lois aurait un peu plus d’un an de validité et de vie) qui empêchent toujours plus l’émigration, la circulation, l’immigration. Il faut s’occuper de cette question cardinale d’une façon nouvelle et imaginative – parce que ce qu’on risque, à court terme, si on ne choisit pas de se montrer civilisé, comme le disait André Gorz à propos de la sortie du capitalisme, c’est la barbarie. C’est-à-dire un nouveau génocide. Il est déjà entamé. JbrJ...