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Histoire littéraire Drôles de spécimens

octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237 | par Jérôme Delclos

La réédition d’un traité et une nouvelle inédite : le sérieux et la grâce d’André Dhôtel.

Le Vrai Mystère des champignons

Histoire sentimentale

Louant sa « légèreté », Christian Bobin a dit d’André Dhôtel que chez lui « le sérieux n’a pas sa place ». Voire… D’une part, la légèreté dans ses fictions n’y est jamais totalement légère, et la transparence et la pudique ironie qui les nimbent pourraient bien cacher sa discrète mélancolie. Ainsi des avanies automobiles qu’endurent les épiciers « Job et Chaidert » – couple beckettien – dans Histoire sentimentale, un inédit de 1937. Et d’autre part, les textes les moins classables de Dhôtel, ceux qui tiennent à la fois de l’essai, de la poésie, et pourquoi pas dans un dialogue serré avec la science, sont bel et bien sérieux et complexes : le trop peu connu La Littérature et le hasard (Fata Morgana, 2015), Le Grand Rêve des floraisons réédité par Klincksieck en 2018, et plus encore Le Vrai Mystère des champignons, augmenté d’autres textes (dont une conversation passionnante entre l’auteur et le spécialiste Georges Becker), et de paumatoires planches de russules – la croix des taxinomistes – finement dessinées par le mycologue Christian Frund.
Mais qu’est-ce donc pour Dhôtel que sa grande affaire ? Disons le sensible, le monde en son paraître, qui toujours nous éblouit et nous échappe. Comme les reflets – lumière, eaux et poissons entremêlés – pour le pêcheur de rivière, les floraisons en un grand rêve de la nature pour le promeneur, ou le « vrai mystère » des champignons dans ce livre qui casse toutes nos intuitions, nos assurances, nos catégories héritées : sur ce que sont les choses, les noms qui les distinguent, les formes et les couleurs qui leur sont attribuées. Livre qui brouille jusqu’à la frontière métaphysique censée séparer ce qui est de ce qui n’est pas, et le champignon réel du « champignon fantôme », lequel s’ingénie à apparaître et disparaître, mourir et ressusciter. « Le champignon fantôme n’est nullement dépourvu d’existence, mais reconnu comme un être dont on nie l’existence. » Exemplairement la « russule fourchue ». Ou « Amanita Aeliae (selon Gilbert) ou encore Clitocybe obbata forma Queletii (selon Becker) », tous individus décrits et classés par la science, puis décrétés légendaires, mais qui peuvent un jour ressurgir, et à nouveau s’éclipser. Si bien que « Celui qui voit le champignon fantôme n’en prouve pas pour autant l’existence ». Mais tout de même il le voit : « Le champignon fantôme, en dépit des négations dont il est l’objet, n’en garde pas moins son existence, si improbable qu’elle soit (…) ». D’où chez Dhôtel, en tout cas, une écriture elle-même fuyante, et pourtant très raisonnée sous ses airs désinvoltes et fatrassiers.
La partie sur les couleurs est sans doute la plus troublante et la plus poétiquement rêveuse. L’auteur du Pays où l’on n’arrive jamais nous égare dans des nuanciers qui donnent le vertige, tout un monde mouvant qui menace constamment sa permanence si fragile – si « suspecte » dirait un mycologue. Un cortinaire : « Au début d’un blanc violacé ou lilacin très pâle, puis pouvant perdre cette nuance caractéristique et devenir soit blanchâtre soit ochracé pâle ».
Quant à Job et Chaidert, eux appuient à fond sur le champignon… de leur camionnette en bout de course. Ce dans le but, « de l’aurore au crépuscule », d’un circuit « dans les villages du canton afin d’y écouler les articles de leur épicerie ». Job, entêté à ce que le véhicule ne soit changé qu’une fois « tout à fait hors de service », s’applique alors à « une conclusion décisive ». Il « cherchait parfois innocemment à tuer le moteur par des accélérations à vide et à détraquer la boîte en passant les vitesses de façon extravagante ». Le lecteur, lui, attend avec volupté la panne ou « la dislocation ». Sentimentale, l’histoire l’est par l’amour de ces deux-là pour leur guimbarde, idéalement lente si, comme le dit Chaidert, la vitesse enferme « dans une solitude mélancolique ». En côte, aucun risque. « L’auto la monta si lentement que Chaidert put lier conversation avec des cultivateurs qui suivaient le même chemin. »
Et il y a aussi, chez Job et Chaidert, un « vrai mystère ». Le même que celui des chapeaux des champignons : « ce sont des ornements, des réalités, pour ainsi dire inutiles et qui doivent avoir un sens ». C’est là toute la grâce des histoires de Dhôtel, que dit l’un de ses titres : Beauté.

Jérôme Delclos

André Dhôtel,
Le Vrai Mystère des champignons
Klincksieck, 147 p., 19
et Histoire sentimentale
Lettres vives, 41 p., 12

Drôles de spécimens Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°237 , octobre 2022.
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