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Domaine français Les Valeureuses d’Emmanuel Ruben

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Thierry Cecille

Dans un roman à la fois familial et « géopolitique », donnant la première place aux femmes, l’écrivain retrace les destins mouvementés d’une famille de juifs d’Algérie.

Méditerranéennes

Nouvelles ukrainiennes

De la première à la dernière page, un objet symbolique constitue un leitmotiv à la fois mystérieux et éclairant : le chandelier de Hanoukkah, avec ses neuf bougies, « qui symbolise la présence divine et compte autant de branches que la smalah ». Nous apprendrons que ce chandelier fut presque le seul des biens rescapés de l’exil forcé, lorsque la grand-mère, oserait-on dire la matriarche, Baya Reine Zerbib, autrement nommée Mamie Baya, dut quitter l’Algérie, tout comme ses frères et ses enfants, fuyant les attentats de l’OAS plus encore que le menaçant FLN. Diverses légendes familiales entourent bien sûr ce chandelier – mais la plus significative d’entre elles raconte qu’ « il aurait appartenu à la Kahina, la reine juive de Berbérie dont Mamie Baya aimait raconter les exploits ».
La Kahina, en effet, n’est pas choisie au hasard : elle est tout d’abord comme le modèle, la figure tutélaire de ces « Méditerranéennes », femmes à la fois puissantes et sensibles, mères et sœurs et filles-courage qui ici se succèdent au fil des décennies, engendrant, nourrissant, protégeant ceux qu’elles ont engendrés. Mais cette guerrière du VIIe siècle, combattant les Omeyyades, envahisseurs arabes et musulmans, pose également la question de l’origine : les juifs d’Algérie sont-ils au départ des Berbères convertis ou des enfants d’Israël, chassés de leur terre durant l’Empire romain ? C’est à la recherche de ce qui fait l’originalité et surtout la richesse humaine de ce peuple-là que part Emmanuel Ruben, s’inspirant « partiellement et librement » de sa propre famille maternelle.
Lors d’un repas partagé en décembre 2017, neuf voix de femmes relatent donc les épisodes marquants que vécurent ces Zerbib, Attali, Gozlan et autres Darmon, de la Constantine de 1836 à la France et l’Israël de nos jours. Certaines scènes burlesques, certains dialogues savoureux et certains personnages évoquent la verve et l’humour de l’Albert Cohen de Solal et des Valeureux. Nous suivrons ainsi la trajectoire de Chemouel, surnommé Premier-Français, puis Mangesabre, et enfin Bou Harba, c’est-à-dire l’Homme-au-Caméléon, puisqu’il parcourt, sorte de colporteur assez fêlé, toute l’Algérie avec un caméléon sur l’épaule… Mais peu à peu le tragique et le pathétique prennent davantage de place : à l’évocation d’un pogrom succède le récit des massacres de Guelma, la politique antisémite de Vichy vient anéantir les espoirs suscités par le décret Crémieux. La guerre enfin, dans laquelle d’aucuns n’auraient voulu voir que des événements vite surmontés, vient mettre à mal puis détruire la coexistence patiemment mais sans doute malhabilement tentée depuis cent trente ans. Alors que le roman s’achève sur la mort de Mamie Baya, on se prend à espérer que vivent encore aujourd’hui, sur toutes les rives de la Méditerranée, de telles femmes « qui portaient le monde sur leurs épaules et le pays perdu dans leur ventre ».
Paraissent en même temps, en poche, des Nouvelles ukrainiennes, en hommage à ce pays agressé. On retrouve dans ces pages écrites entre 2010 et 2022, naguère éditées de manière plus confidentielle, la même attention aux êtres et aux paysages – ou plutôt, là encore, une sorte de géographie humaine. Emmanuel Ruben observe en effet comment les existences s’inscrivent dans des espaces particuliers, comment la géographie les détermine. L’Ukraine, évidemment, est avant tout une sorte de pays-frontière, une immense marche orientale. Certains de ces textes sont des fictions, d’autres des récits de voyage, l’un d’eux est un journal tenu pendant la Révolution de l’Euromaïdan en 2014. Dans chacun d’eux, Emmanuel Ruben tente de comprendre, avec respect et compassion, ce « peuple des confins » confronté à une réalité complexe et cruelle : « Voici vingt-cinq ans que tout le monde, en Ukraine, passe son temps à piétiner, à trébucher contre des obstacles appelés l’histoire, la mémoire, la Russie, le communisme, le fascisme ».

Thierry Cecille

Emmanuel Ruben
Les Méditerranéennes
Stock, 413 p., 22
et Nouvelles ukrainiennes
Points, 183 p., 8,90

Les Valeureuses d’Emmanuel Ruben Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
4,00