David Lopez, la belle ascension
Ce n’est pas le Jonas de Fief qui nous parle. À moins qu’en cinq ans, il en ait prix douze. Le narrateur approche la quarantaine, comme l’auteur. Il vit seul depuis que Renata l’a quitté. Enfin seul, pas tout à fait, il y a Cassius, son vieux chat : « Il n’est pas tout neuf, il a fait sa vie. (…) Il n’en a plus pour longtemps. J’ai beau le savoir je fais en sorte de ne pas toujours m’en souvenir. » Faire sa vie : c’était déjà l’un des motifs principaux de Fief. On fait quoi de nos vies ? Le narrateur de Vivance l’a mise en parenthèses sa vie, comme figée dans l’après-Renata. Il s’est mis en tête de repeindre sa maison et c’est avec un pinceau si peu approprié que cela pourrait durer jusqu’à la fin des temps, sa peinture. Son pote Denis (marié à Denise : Lopez manie la désinvolture dès lors qu’il s’agit de nommer ses personnages) qui s’habille comme un acteur américain des années 80, l’envie. Il envie sa liberté, le fait qu’il puisse partir dès qu’il le souhaite, l’admire pour avoir « enculé le système bien comme il faut ». À défaut d’inventer sa vie, Denis invente des sens aux mots, sa manière à lui de faire un pas en dehors du rang des assassins probablement. On ne connaît pas le nom de la ville qu’habitent les deux amis, mais il y pleut beaucoup. Au point qu’un matin le centre est totalement inondé. Le narrateur y apprend à marcher avec de l’eau jusqu’à la taille, traverse la cité et s’offre des visions post-apocalyptiques d’une ville morte, déformée, silencieuse.
Le roman, ici, semble prendre une pause, hésiter sur la voie à emprunter : roman de la catastrophe ou errance contemplative. Il est temps alors de mettre en route un des personnages essentiels : Séville. Non pas la ville espagnole, mais le vélo que notre narrateur enfourche pour partir à la recherche de Cassius disparu. À moins qu’il ne fuie cette vie de lotissement promise à sombrer sous le déluge. Toujours est-il qu’il part, et ne s’arrête plus. Le roman a choisi sa voie et c’est merveille pour nous lecteurs. Sur la route, notre homme va faire des rencontres, des bouts de vie saisis entre goudron et terrasses. Il nous éduque à la pratique du vélo, décrit le paysage, ouvre le cahier des légendes : celles que les cyclistes alimentent dès lors qu’ils évoquent le Ventoux, l’Alpe d’Huez ou le Tourmalet. Surtout, il va passer du temps chez Noël à mi-pente d’un col. Noël qui l’héberge, trop content d’avoir une compagnie dans sa solitude de sortie de virage. Le roman d’ailleurs nous le présente très vite Noël, bousculant la chronologie des faits dans une alternance de chapitres entre plaine et montagne. Noël a conservé lui aussi une âme d’enfance à regarder sur de vieilles cassettes VHS des reportages animaliers, connaissant par cœur ce que dit la voix off, venue d’un temps où la littérature nichait dans les détails : « Le narrateur du documentaire utilise un vocabulaire assez soutenu, en témoigne cette phrase que Noël dit plus fort encore que les autres, la main serrée autour de...