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Domaine français La voix qui crie dans le désert

juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235 | par Jérôme Delclos

Quinze nouvelles de Franz Bartelt, lampadaire de l’absurde et détergent métaphysique : lumineux, corrosif.

Souvenirs du théâtre des opérations

Le Bon temps - Suivi de bonne heure

Quinze tranches de vie à la première personne : à chaque fois et en quinze à vingt pages, un homme, une femme ou un enfant monologue. Le premier talent de Franz Bartelt est déjà dans sa ventriloquie, parce qu’il est un maître de la nouvelle dont il obtint le prix Goncourt en 2006 pour Le Bar des habitudes. Mais le plaisir que prend le lecteur à écouter ces quinze voix serait incomplet si derrière chacune d’elles ne s’entendait, très reconnaissable, celle de l’écrivain, à la fois en empathie sincère avec ses personnages et toujours un peu distancée, dans des effets d’inversion, des décalages, dans des pas de côté aussi bien du style que de la narration. Quitte à ce que ça grince, et pas qu’un peu, beaucoup plus que chez Vialatte dont on sent parfois l’influence : « Toutefois, l’homme est incorrigible  ». Bartelt l’est aussi, incorrigible provocateur, moraliste cruel. Ainsi par exemple dans la nouvelle éponyme du titre, où un critique de théâtre rêve d’une bonne guerre, un « théâtre des opérations » bien saignant qui lui fournirait une inépuisable matière littéraire en même temps que ses bénéfices secondaires.
Mais surtout, le barteltisme, oserons-nous dire, est à son acmé dans ces drames domestiques dont l’écrivain s’est fait une spécialité. Telle épouse nous livre sa répugnance à occire l’inconnu (« C’est un geste gratuit. Une corvée. On peut même appeler ça un crime. C’est vilain »), et l’aisance et « la motivation » à le faire du conjoint : « Un mari, on sait pourquoi on a envie de l’assassiner. (…) Et puis, il y a les sentiments ». En miroir, dans « Impressions d’un soliste », digne de la Physiologie du mariage de Balzac, un quidam dissèque la vie conjugale : « Théoriquement, au départ, le mariage se voulait le temple du bonheur. C’était sans compter avec la femme ». Certaines histoires manient l’absurde, le beckettien. Ainsi de « La chaise », qui voit se confier « un jusqu’au-boutiste » de « la politique de la chaise vide » : « On ne s’assoit pas. Quand notre parti tient ses assises, c’est résolument debout qu’il se fait un devoir de les tenir. » On croisera encore un enfant surdoué, terrorisé par l’idée de dépasser son père en intelligence et qui s’emploie à se construire « une personnalité pleine d’insuffisances », un agent secret dormant qui attend sa mission (longtemps), un très futé « innocent avec préméditation ». Dans « Marre des gens qui se plaignent », le paradoxe du râleur : il passe son temps à se plaindre… des gens qui se plaignent.
Deux nouvelles, « Le bon Temps » et « La bonne Heure » que l’éditeur propose aussi dans sa petite collection « L’ivre de caisse », célèbrent la biture. Bartelt y glorifie encore ces anonymes qu’André Dhôtel déclarait non sans affection « quatre fois décorés et mille fois martyrs du tabac et du guignolet ». La teneur philosophique de ces deux textes tombait à pic en cette période de bachot. Du sûr, du classique : « L’Antiquité picolait ». D’où que les Athéniens n’auraient pas bâti le Parthénon s’ils n’avaient pas bu comme des outres. « À jeun, les Grecs ne se seraient jamais lancés dans une aventure architecturale aussi extravagante. Ils auraient raisonné. » Dans « La bonne Heure », c’est dans ce même décor qu’est convoquée la mort fameuse d’un ivrogne notoire : l’herméneutique de Bartelt met sous la loupe le tempérament de Socrate, bavard – « des blablas, tous ces blablas » –, procrastinateur – « Socrate, en voilà encore un qui faisait sa coquette pour prendre place dans son cercueil (…) il jouait les vedettes de l’accordéon » –, et épuisant pour son public, ce que résume bien le disciple qui parle : « Il me saoulait ». C’est que le vin délie la langue, « surtout dans des pays où le soleil est roi ».
Non pas le doux apéritif ou le torpide digestif, non : rude et brutal, le « raide » qui vous râpe le gosier comme l’entendement, et vous débouche les tuyaux.

Jérôme Delclos

Franz Bartelt
Souvenirs du théâtre des opérations
L’Arbre vengeur, 263 pages, 17
et Le Bon Temps suivi de La Bonne Heure
L’Arbre vengeur, 43 pages, 5

La voix qui crie dans le désert Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°235 , juillet 2022.
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