La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Égarés, oubliés Une Parisienne au Tibet

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Éric Dussert

Exploratrice par goût de l’ailleurs, Isabelle Massieu a dévoilé la première des régions encore mal connues des Français.

Sur la plaque verdie de la tombe familiale des Massieu du cimetière Carnot à Suresnes, la place dévolue à Isabelle Massieu arbore un qualificatif : « explorateur ». Son mari, le juriste Octave Massieu (1835-1891) n’en a pas. C’est pourtant lui qui, en l’invitant à travers l’Europe et l’Asie à partager ses voyages professionnels (l’homme de droit était alors très demandé), lui donna le goût du voyage. Elle deviendra l’une des plus étonnantes voyageuses françaises de son temps, comme Charlotte-Adélaïde Dard ou Léonie d’Aunet, tout juste après Fanny Loviot, qui, émigrant à San Francisco en 1852 se trouva durant quatre ans captive des pirates en mer de Chine – devenant de ce fait le témoin principal d’un univers qu’elle traita à la manière de la littérature populaire, et avec beaucoup de talent.
Née Bauche (ce qui eût plu à Jean-Pierre Martinet qui avait ainsi nommé son Jérôme), Isabelle Massieu est née à Paris, le 4 avril 1844. Son premier écrit publié semble être une conférence de 1899 intitulée « Les Anglais en Birmanie » publiée dans le Bulletin de la Société normande de géographie. Elle connaissait particulièrement l’Europe et le Moyen-Orient, quand, veuve à l’âge de 50 ans, elle entama une série de voyages en commençant par le Liban (1892), puis l’Asie, en Indochine tout d’abord, puis en Birmanie, Chine, Japon, Birmanie, désert de Gobi, Sibérie, Turkestan, Caucase, puis en Inde et au nord du sous-continent, au Ladakh, région de culture tibétaine qu’elle est la première Française à pénétrer. Dès 1901, elle rend compte chez Plon de ses premières visites dans Comment j’ai parcouru l’Indo-Chine : Birmanie, États shans, Siam, Tonkin, Laos. Ce sont quatre cents pages dignes d’étonner ses concitoyens pour qui l’Asie est synonyme de mystères insondables. Elles sont dédiées à Octave Massieu, « le cher compagnon de ma vie et de mes voyages passés » et préfacées par Ferdinand Brunetière, l’historien de la littérature qui sait qu’Isabelle Massieu est « femme de sens, d’esprit et de goût » et que les lecteurs « fatigués d’exotisme (…) lui sauront gré d’avoir été généralement plus curieuse des mœurs que du paysage, d’ethnographie que de botanique, et plus attentive à s’informer pour nous instruire, qu’à faire des effets d’“écriture” pour nous émerveiller ». Et c’est ainsi que « Le 6 octobre 1896, après vingt-trois jours de traversée, le Melbourne, des Messageries maritimes, prenait le pilote, au cap Saint-Jacques, pour remonter jusqu’à Saïgon la rivière du même nom. Au-delà de cet abrupt promontoire couvert de brousse l’atmosphère devient subitement pesante et un silence profond succède à tous les bruits du large. » Éducation des garçons, des filles, situation du christianisme, Bangkok, les Shans, tout y passe, jusqu’à l’administration militaire, cette mamelle essentielle de la colonisation…
Quelques années plus tard, en 1914, elle donne à l’enseigne de la Librairie Félix Alcan un livre que l’actualité géopolitique efface : Népal et pays himalayens, au moment même où Alexandra David-Neel parvient tout juste à Lachen (elle sera dans Lhassa incognito en 1924). C’est encore une terra incognita pour les Occidentaux et Isabelle Massieu apporte des informations fraîches sur le Bhoutan, le Sikkim et le Tibet ainsi que des photographies dont le recueil, au Musée de l’Homme, n’est pas la moindre des collections car les documents issus de cette région étaient rares : il n’était pas possible de passer la frontière à moins de se rendre à l’un des trois lieux de stockage régis par les Anglais.
Katmandou, Bhatgaon, Patan, Darjeeling, c’est une succession de toponymes qui font rêver qu’elle nous livre, comme elle ressent elle-même « L’attraction de l’Himalaya et le désir de pénétrer dans ces sortes d’îles de la haute montagne qui sont, comme certaines îles de la mer, des cadres de civilisation autonome, transformant à leur image les influences venues de l’extérieur ». Elle s’arrête en particulier sur ces « atouts économiques et ethniques » qu’elle compare à la région du Valais dans les Alpes où les populations intègrent les influences extérieures en les adaptant à leurs usages. Et, mutine, elle se réjouit de ce que le Vieux Continent n’était pas prêt à entendre : « Les femmes bhoutias sont entreprenantes, rieuses et séduisantes, coquettes avec tous leurs bijoux. De plus, elles sont travailleuses et fortes comme des hommes. Au point de vue moral, les Bhoutias n’ont pas de règle fixe ni de loi. Ils pratiquent volontiers le mariage libre, tantôt la polygamie, tantôt la polyandrie, successivement et conjointement. » De quoi inspirer les modernes d’Occident…
Revenue de ses lointains qui l’ont tant séduite, Isabelle Massieu disparaît à Suresnes le 7 octobre 1932. On se souviendra que c’est elle qui a écrit « Le voyage est le livre vécu qui nous abstrait de notre propre vie ».

Éric Dussert

Une Parisienne au Tibet Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
LMDA papier n°234
6,50 
LMDA PDF n°234
4,00