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Domaine étranger La guerre vue d’un siège de bus

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Guillaume Contré

Les soubresauts d’un voyage à travers le Liban sont le prétexte pour raconter avec subtilité et humour un conflit inextricable.

Nouveau projet éditorial lancé par le traducteur Etienne Gomez, Perspective cavalière s’attache à décrire « le monde selon ses marges ». L’identité homosexuelle y sert de fil conducteur pour débusquer des textes qui offrent un regard différent sur le monde comme il va (ou ne va pas), depuis une position décentrée. Si l’on en juge par le deuxième titre de ce catalogue en devenir, cela s’annonce prometteur. Ali et sa mère russe, bref roman de la Libanaise Alexandra Chreiteh, n’a guère besoin que d’une centaine de pages pour dresser un portrait sensible d’un pays en guerre, tiraillé par des tensions irréconciliables.
Chreiteh choisit l’économie de moyens et, grâce à une prose alerte, va directement dans le vif du sujet en optant pour un angle délibérément subjectif, non dénué d’humour. Cela lui permet de raconter une période difficile avec une apparente légèreté de ton qui ne fait pas abstraction du drame en cours et dans lequel ses personnages sont ballottés malgré eux. Dès le premier paragraphe, le ton est donné, tout en concision suggestive : « Le 12 juillet 2006, on apprit que le Hezbollah avait kidnappé deux soldats israéliens à la frontière. Ce qui ne nous empêcha pas d’aller manger des sushis. On finissait tout juste de déjeuner quand Israël déclara la guerre au Liban. Les employés du resto se dépêchèrent de fermer et nous demandèrent de partir tout de suite. On partit tout de suite, sans payer l’addition. »
La narratrice, d’origine russe comme l’auteure, est jeune et ne semble pas destinée à porter sur ses frêles épaules le poids d’un imbroglio géopolitique qui ne la concerne pas. Elle commence d’ailleurs par ne pas trop prêter attention au sérieux de la situation car au Liban, après tout, celle-ci est souvent « dégradée » et il ne s’agit en général, veut-elle se rassurer, que « d’une escarmouche ».
Ce roman n’est pas un livre sur la guerre mais sur ceux qui la subissent, soudain projetés dans un monde où « quelque chose clochait ». C’est pourquoi Alexandra Chreiteh fait le choix habile de circonscrire l’essentiel de son récit à un trajet en bus à travers le pays, lors d’un convoi affrété par les autorités russes pour évacuer ses ressortissants. Soit un épisode mineur dans un conflit bien plus ample, mais qui se révèle un excellent poste d’observation tout en offrant à l’auteure un point de chute défini à l’avance : le récit s’achèvera avec l’arrivée du bus à l’aéroport. Le reste n’est pas littérature, mais la douloureuse histoire du Moyen-Orient, toujours en cours.
Ali et sa mère russe est donc un instantané pris sur le vif d’une situation explosive. La photographie qui en résulte a les contours agités d’un réel convulsif que l’auteure se garde bien de trop vouloir analyser dans ses tenants et aboutissants politiques. Le personnage central du récit, celui qui occupe l’essentiel de la photo tout en restant un peu floue, comme un point de fuite, c’est le Ali du titre, un ami d’adolescence que la narratrice recroise de façon inespérée au début du récit, et avec qui elle partagera ce voyage qui ne sera pas de tout repos. Elle est d’abord surprise « de découvrir qu’il avait tant changé », lui qui avait été pour elle une sorte d’amour de jeunesse dont elle garde un souvenir mitigé. Et pour cause car, comme le lui révélera Ali au cours du trajet, il est homosexuel, ce qui n’est évidemment pas une gageure dans un pays où la question de l’identité (religieuse, géographique) est aussi inflammable que sont bannies les « déviances » sexuelles. Un monde, pour tout dire, où les préjugés des gens « respectables » sont durs comme le roc, ce que l’auteure met ironiquement en scène. Dans de telles circonstances, Ali ne saurait être, selon la mère de la narratrice, qu’un « garçon à problèmes ». Et lui qui, malgré ses origines ukrainiennes, se définit comme « libanais de cœur et de sang », ne peut faire partie « des hommes les plus forts » et défendre son pays. Ali, en réalité, est pris en tenaille entre deux identités irréconciliables : son homosexualité et le fait d’être libanais.
La grande intelligence de ce récit, c’est qu’il reste en permanence à hauteur des personnages et raconte le conflit depuis l’apparente banalité de ses effets les plus directs : la narratrice souffre de problèmes urinaires et le bombardement d’une usine Kleenex ne peut être que l’annonce d’une problématique pénurie d’indispensables mouchoirs. Alors qu’elle est en route avec sa mère pour rejoindre le convoi russe, elle est forcée de faire une pause pipi dans des conditions précaires : « pendant les quelques instants où seul ce léger drap sépara mes fesses nues des voitures qui passaient, je me demandai si les radars israéliens pouvaient me détecter ». C’est dans son talent à décrire de telles scènes, à la fois dérisoires et tragiques, qu’Alexandra Chreiteh touche juste dans ce beau récit. Car la guerre a ses raisons que la vie quotidienne ignore.

Guillaume Contré

Ali et sa mère russe
Alexandra Chreiteh
Traduit de l’arabe (Liban) par France Meyer
Perspective cavalière, 96 p., 14

La guerre vue d’un siège de bus Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
LMDA papier n°234
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