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Traduction Marina Heide*

mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233

Les Oiseaux, de Tarjei Vesaas

Quand les éditions Cambourakis m’ont proposé de retraduire Les Oiseaux de Tarjei Vesaas, j’ai été à la fois ravie, honorée et effrayée. Car ce petit pays qu’est la Norvège compte peu de classiques, et celui-ci en fait partie.
Vesaas est de ceux qui ont bercé mon adolescence et mes années d’étudiante. Je me rappelle encore l’étrange impression, un mélange d’effroi et d’émerveillement, que m’a laissée la lecture de Palais de glace quand j’étais au lycée. J’avais lu Les Oiseaux dans la foulée, je me revois encore à la plage avec le livre orange que j’avais déniché dans la bibliothèque de mes parents, véritable mine d’or pour les amoureux de littérature scandinave – on y trouve plus ou moins tout en langue originale et/ou traduction. À l’époque, je lisais ces ouvrages en français, mon niveau de norvégien ne me permettant pas encore de bien comprendre la VO. Je me souviens d’avoir été déçue. Les Oiseaux ne m’a pas directement touchée comme l’avait fait Palais de glace, je trouvais cette histoire obscure, un brin sordide, racontée dans une langue compliquée, loin de la simplicité si poétique et captivante du roman précédent. Mais je n’en avais pas fini avec Vesaas, et certainement pas avec Les Oiseaux.
Vesaas, c’est un monument. Et dans le monde franco-nordique, Régis Boyer, premier traducteur des Oiseaux, l’est presque autant. Du haut de ma courte carrière de traductrice (j’exerce à plein temps ce métier depuis 2017), je me retrouvais face à deux figures intouchables qu’il allait pourtant falloir affronter. Cette première traduction, j’ai pris la décision de ne pas la relire avant de me lancer, de la laisser comme une vague impression dans ma mémoire, souvenir nébuleux d’une lecture qui remontait à près de quinze ans. Pour retraduire, il m’a semblé qu’il valait mieux ne pas se laisser influencer, mais porter un regard neuf sur le texte. Au fil de mon travail, je me suis finalement servie de la version de Régis Boyer comme d’un outil, un peu comme un dictionnaire disponible en ligne à manier prudemment, une manière de me conforter dans mes choix ou, au contraire, de bousculer ma compréhension du texte.
Le problème principal, quand on lit Vesaas, et a fortiori quand on traduit son œuvre, c’est la compréhension. Parce qu’il écrit dans le dialecte du Telemark, région centrale de Norvège. Plus précisément, il compose en nynorsk, ou néo-norvégien, l’une des deux normes écrites du norvégien, par opposition au bokmål, « langue du livre ». Cette dernière vient directement du danois, le pays voisin ayant laissé son empreinte sur le norvégien, en particulier à l’écrit, après 300 ans d’union qui prend fin en 1814. À l’époque, tous les textes sont écrits en danois, la littérature y compris. Avec l’émergence du sentiment national lié à la fin de l’union, un linguiste du nom d’Ivar Aasen décide de parcourir le pays pour collecter les dialectes des différentes régions, voyage à l’issue duquel il conçoit une langue écrite norvégo-norvégienne, le nynorsk. Aujourd’hui, les deux normes ont évolué chacune de leur côté, mais elles sont toujours employées. Il s’agit surtout d’une distinction géographique, l’est et le nord du pays parlant des dialectes proches du bokmål, l’ouest se reconnaissant davantage dans le nynorsk.
Pour Vesaas, rien de plus naturel que d’écrire dans la norme apparentée au dialecte local de Vinje, au cœur du Telemark, où il a passé toute sa vie. Son écriture reflète le parler populaire des bourgades reculées dans lesquelles se situent ses récits. Pour ce faire, il utilise des expressions régionales parfois si spécifiques qu’elles peuvent être méconnues d’un hameau à l’autre. Autrement dit, lire Vesaas dans le texte est un défi, y compris pour les Norvégiens eux-mêmes. Et dans ce genre de situations, les dictionnaires sont rarement d’une grande aide. Mais j’avais à mes côtés, du moins au bout du fil et de ma boîte e-mail, une autre ressource : Guri Vesaas, fille de l’écrivain, qui vit toujours dans la ferme familiale et qui connaît l’œuvre de son père sur le bout des doigts. Non contente de me fournir son aide personnelle sur des points précis, elle m’a conseillé de me rapporter aux récentes traductions du roman en suédois et en danois, qu’elle avait supervisées quelques années plus tôt. Je n’aurais jamais eu moi-même cette idée, et ces deux textes ont été d’un grand secours. Pour la simple compréhension du texte, j’ai donc jonglé entre la VO et deux traductions récentes dans des langues voisines du norvégien, tout en jetant de temps en temps un coup d’œil à la version de Régis Boyer.
Dans Les Oiseaux, la difficulté du dialecte est renforcée par le rapport très particulier de Mattis, personnage principal du roman, au langage. Mattis adore les mots, il déguste les expressions, écoute ce qu’on dit autour de lui, se réapproprie certaines formules et les réutilise – le plus souvent maladroitement. Il parle de façon très simple, brève mais poétique, une association particulièrement difficile à rendre en français, notre langue brodant volontiers davantage. Si Mattis écrivait des poèmes, il composerait des haïkus, comme me l’a suggéré la traductrice de Vesaas en japonais, à l’occasion d’une rencontre entre traducteurs dans le Telemark, l’été dernier.
Plus que jamais, j’ai dû peser chaque mot, ce qui est tout l’art de la traduction. Mais aucun autre texte ne m’en avait encore fait prendre conscience à ce point. Jamais encore, je n’avais eu autant le sentiment d’avancer en équilibre d’une phrase à l’autre. En toute humilité, grâce à toutes les ressources que j’ai pu exploiter, je crois pouvoir prétendre que ma version est plus proche du texte original que la première traduction.
Quand on traduit, on lit différemment, et mon travail m’a fait radicalement changer d’avis sur ce récit qui ne m’avait pas séduite au premier abord. Les Oiseaux est un roman d’une rare intelligence et d’une rare beauté que je suis profondément heureuse d’avoir eu la chance de (re)traduire. Il ne reste plus qu’à espérer que Mattis et sa bécasse (re)prennent joliment leur envol dans le paysage littéraire français.

* Marina Heide à traduit entre autres Maja Lunde, Merethe Lindstrøm, Karolina Ramqvist. Les Oiseaux paraît aux éditions Cambourakis.

Marina Heide*
Le Matricule des Anges n°233 , mai 2022.
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