Il est des paysages grandioses qui saisissent par leur étrange beauté. Une beauté qui au lieu de conforter l’idée de bonheur, s’avère douloureusement toxique, renvoyant à la fragilité, la petitesse de nos existences et leur solitude transcutanée. Un peu à l’image de l’Islande, île cuirassée de glaciers, 10 % de sa surface, secouée par une intense activité volcanique. Y surgissent geysers (mot du cru), fumerolles, solfatare et autres sources thermales. Le pays bardé de basalte se révèle particulièrement accidenté, très peu peuplé malgré un niveau de vie très élevé. La criminalité s’y avère la plus basse d’Europe avec un taux d’homicide avoisinant le zéro. Son climat particulièrement hostile, son soleil timide, ont développé un imaginaire singulier, ainsi qu’une religion d’État très puritaine.
Gyrdir Eliasson, fils d’Elias (les noms de famille n’existent pas en Islande) est né dans la Baie des fumées, Reykjavik, la capitale. Auteur primé dans son pays, le tourmenté sexagénaire, né en 1961, a publié dix recueils de poèmes non traduits et cinq de nouvelles et romans. Il est aussi le traducteur de Richard Brautigan.
Entre les arbres (Books, 2012) livre quarante-huit courtes nouvelles cocasses, surprenantes, se jouant du réel et de la fiction, grattant les portes du grand mystère de la vie. On y rencontre August Strinberg après sa mort, assis dans une cafétéria d’Ikea, observant ses voisins manger des boulettes. Dans Les Excursions de l’écureuil (La Peuplade, 2016), entre onirisme et réel, un petit garçon métamorphose l’usage et le sort des objets et des animaux, jusqu’à devenir lui-même écureuil.
La trilogie, publiée par La Peuplade, instaure un net changement de ton, délaisse la fantasmagorie, pour parcourir les territoires de la nature profonde, fascinante, mais plus encore ceux de la mélancolie. Elle regroupe de courts romans, sortes de miniatures, livres d’heures et d’images enluminés au Moyen Âge. Au bord de la Sanda (2019), La Fenêtre du sud (2020) et Requiem explorent quasiment la même forme et structure narrative. Des hommes, artistes décalés, solitaires, au milieu de nulle part se dépouillent des oripeaux sociaux tout en entamant un long délitement mental. La nature revêt, tour à tour, une dimension de paradis et d’enfer, d’onirisme, de fantastique, de consomption métaphysique, d’asile délétère. Le premier héros, peintre en crise, fasciné par les tons, les variations des couleurs de la forêt, les courbes de la rivière, finit par être happé par la toute-puissance de ses perceptions et de son environnement. Le deuxième, écrivain en manque d’inspiration, suit une même sente qui le guidera vers la folie. Quant au dernier, Jonas, publiciste en télétravail, compositeur minimaliste délaissé par sa femme, il s’éprend de tout bruit, toute sonorité qu’il essaye fébrilement de reproduire. Par son humour bougon et cynique parviendra-il à se défaire des charmes de la symphonie pastorale ? « Je n’arrive à entretenir d’échange avec...
Entretiens Musique des glaces
février 2022 | Le Matricule des Anges n°230
| par
Dominique Aussenac
Acerbe, mélancolique et grave, l’Islandais Gyrdir Eliasson clôt sa trilogie par un Requiem né de la rencontre de la nature et d’une solitude.
Un livre