La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Nomades de terre et de mer

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Yann Fastier

Nouvelle édition d’un sommet de la littérature québécoise, hymne d’une puissante sincérité au Saint-Laurent et à ceux qui l’habitent, de toute leur âme et de toutes leurs forces.

On n’est pas confronté tous les jours à la splendeur. Aussi n’entreprend-on pas sans émotion de rendre compte d’un livre aussi simplement et parfaitement beau que celui-ci, aujourd’hui réédité dans sa version définitive, tel que le voulait Pierre Perrault qui, toute sa vie, ne cessa d’y retravailler.
Sans doute Pierre Perrault (1927-1999) est-il plus connu en France comme cinéaste que comme écrivain. Ses documentaires ont fait date, notamment Pour la suite du monde, projeté en compétition officielle à Cannes en 1962, qui fit de lui l’une des figures majeures du cinéma direct aux côtés d’un Jean Rouch ou d’un Frederick Wiseman. Le film évoquait la vie des pêcheurs de l’Isle-aux-Coudres, sur le fleuve Saint-Laurent, où se pratiquait autrefois une chasse traditionnelle au béluga. Toutes isles, d’une certaine façon, peut être lu comme un prolongement de l’œuvre cinématographique de Perrault, une autre façon de parler de ce qui lui tenait infiniment à cœur, à savoir la vie des habitants du Saint-Laurent, de ses rives et de ses îles, si nombreuses que Jacques Cartier, renonçant à les compter, les nomma tout uniment « Toutes isles ».
Une vie dont, au fil de sa chronique, Pierre Perrault ne cache rien de la rudesse et des difficultés quand elle dépend entièrement des aléas de la pêche, sur ces rochers où rien ne pousse, sur ce fleuve pris dans les glaces une partie de l’année, où la moindre rupture du cycle saisonnier peut mener à la catastrophe. Pêche transhumante à la morue, chasse aux phoques au cours de leur migration, tout est lié : s’il n’y a pas de viande de phoque pour les nourrir, il faudra tuer les chiens, les chiens qui transportent le bois, etc. Une telle vie offre peu de récompenses. Parmi elles, un rare bébé phoque – celui-là même dont les grands yeux humides nous fixaient encore il n’y a pas si longtemps en une de Libé – duquel la blanche fourrure peut faire la différence pour une femme du Labrador « ne disposant que de ces quelques blancs loups marins pour changer la face du monde à son humble avantage ».
De même évoque-t-il avec tendresse les Innus, qu’il appelle encore Montagnais, ces « Indiens » du Labrador, déplorant au passage leur acculturation forcée et la très grande violence qui fut faite à ce paisible peuple des rivières et du caribou. Peuple de poètes, à l’en croire, mais pour qui « (l)e poème n’a d’importance que s’il répond à la faim, que s’il se transmue en nourriture… / car ils habitent l’essentiel ceux-là dont le chant n’a pas d’autre objet que la marche et le gibier ».
Tout pourrait être dit dans ces quelques mots. Car s’il est sous-titré « récits », Toutes isles n’est aussi bien qu’un long poème en prose, composé de courtes sections elles-mêmes divisées en versets dont l’envoûtante scansion rythme à la façon d’une voix off le cinéma intérieur que suscite un texte aussi sobre qu’imagé. Sobre dans ses descriptions, peu porté sur l’anecdote sinon lorsqu’elle est significative, il est n’en est pas moins évocateur, soutenu par un lyrisme constant qui pourrait augurer d’une forme de poésie documentaire devant plus à Saint-John Perse ou Neruda qu’à Mac Orlan. Mais les comparaisons ont leurs limites : Toutes isles ne doit en vérité rien d’autre qu’à lui-même quand il s’agit de rendre hommage à la profonde dignité de ces existences précaires, que ne saurait même concevoir quiconque « n’a jamais fréquenté la dernière extrémité ». À ce titre, il ne constitue pas seulement d’ores et déjà un classique de la littérature francophone du Québec, mais dresse à ces âpres confins du monde le monument qu’ils méritent. Un monument universel d’où, même sans avoir jamais traqué le loup marin ni manié la vasigotte, on ne ressort qu’ébloui, ému aussi, bouleversé quoi qu’il en soit.

Yann Fastier

Toutes isles
Pierre Perrault
Lux, 223 pages, 18

Nomades de terre et de mer Par Yann Fastier
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
LMDA papier n°230
6,50 
LMDA PDF n°230
4,00