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Domaine français Aux sources du noir

novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228 | par Richard Blin

Sous les auspices de l’ange ténébreux et des yeux sans nombre que la nuit peut faire s’ouvrir en nous, Jacques Henric interroge le mal qui fait revivre.

À l’origine de La Nuit folle, deux réalités : la vive admiration de Jacques Henric pour l’œuvre de Joë Bousquet (1897-1950) – un inclassable comme Bataille et Jouve, un poète qui se tint dans le noir, à l’écart du penser-comme-il-faut – et un vif intérêt pour « l’insolite tribu d’adolescentes » qui gravitait autour de lui. À quoi s’ajoute son empathie, pour ne pas dire son amour, pour les hommes qui tombent, pour ceux que Pascal Quignard appelle Les Désarçonnés (Grasset, 2012). Ceux qui voient un amour, un événement, un imprévu faire basculer l’ordre du monde, renverser le cours de leur vie. Comme en cette soirée du 27 mai 1918, à Vailly-sur-Aisne, lorsque Joë Bousquet, commandant en qualité de lieutenant une contre-attaque à la tête de son unité de choc, reçut une balle en pleine poitrine. Des vertèbres sont touchées : il vient de perdre à jamais l’usage de ses jambes, de son sexe. À tout juste 21 ans. « Il est devenu un homme qui ne sera plus tout à fait un homme » Trois jours avant la bataille, il avait reçu de Marthe, la jeune femme aimée, une lettre désespérante. D’où peut-être le choix d’aller au-devant de la mort.
Réduit à l’état de demi-mort et de demi-vivant, et après avoir un temps vécu à La Franqui-Plage, près de Leucate, il va décider de plonger dans la nuit, de s’enfermer dans une pièce étroite dont il fait obstruer les fenêtres ne laissant pour seule veilleuse qu’une lampe à opium « à la flamme de laquelle il faisait griller les boulettes salvatrices ». Une chambre, au 53 rue de Verdun, à Carcassonne, où il va s’emmurer vingt ans, confiné à vie, entouré de tableaux de Bellmer, Dalí, Ernst…, lisant, écrivant, recevant de prestigieux visiteurs – Valéry, Gide, les surréalistes, Paulhan, Aragon, Simone Weil… – mais aussi de jeunes affranchies, ses « visiteuses du soir » comme il les appelait, « toutes admirables d’intelligence, de culot, de science dans l’art de mettre en scène leur propre perversité en réponse aux visions, aux désirs, aux appels, aux défaillances, aux faims, du grand poète blessé ».
« On me retire la vie, j’en inventerai une autre. » Cherchant le noir, le vide, le nu, Bousquet va élaborer une véritable poétique de la nuit et du voir. Au plus profond du corps écrivant qu’il est devenu, il découvre de nouvelles puissances de voir et de jouir. Libéré des convenances et s’affranchissant de toute entrave, il plonge dans la nuit viscérale, s’y enfonce jusqu’aux sources du noir, de ce « noir de source » qui émane probablement du mal dans sa proximité avec le péché originel. Un mal qui le fait revivre, avec lequel il fait corps et qui lui donne accès à un plus-être, à un espace où il se sent enfin souverainement libre, où ses passagères du soir, ses alliées de la nuit, ces « prêtes-à-tout » qu’il aimait rebaptiser à son goût – Blanche Abeille, Poisson d’Or, Œillet de mer, Princesse Abricot, la Passante bleue et blonde… – viennent s’initier aux mystères de l’amour, du sexe et des drogues.
Dans cette chambre où tout est possible, « où il peut aller au bout de tout, goûter à tous les dangers et céder à la fascination de l’extrême », il voit ces très jeunes admiratrices, ces admirables déesses se faire un peu sorcières en lui offrant leur nudité. Une nudité qui, par l’œil, entre dans son corps d’homme disloqué, d’homme perdu, et irradie. Par l’œil, il y a donation réciproque. Il leur fait découvrir leur part d’inconnu et d’infernal tandis qu’il se rejoint lui-même en se désappropriant de son corps d’homme pour entrer dans la transparence de la femme, l’amour excédant les partitions du genre. L’expérience érotique se fait union mystique et ontique, nuit folle où chacun s’enfonce dans la nuit de son désir, et où pénétrer le fondement d’une jeune visiteuse, se traduit par « creuser un amour jusque dans la vie invisible d’un corps », aller à la rencontre de « l’âme faite lumière à travers les ténèbres ».
En ressuscitant la sensualité cathare de ces moments hallucinés, c’est la face noire et quasi inavouable de la sexualité qu’explore Henric, celle même qu’a aussi exploré à sa façon, Catherine Millet, son épouse, dans La Vie sexuelle de Catherine M.
Aller au bout du ténébreux, de l’inconnu, de l’impensable, jusqu’à ce degré d’incandescence/indécence où la nuit qui est au fond de la nuit devient lumière – celle dont avant sa chute Satan/Lucfier était porteur ? – est-ce « sauver le mal » comme le voulait Joë Bousquet à l’instant de sa mort ? C’est aussi à cette question que tente de répondre Jacques Henric au fil du réseau d’échos et de résonances qu’il tisse avec sa propre vie et celle de quelques éminents explorateurs des territoires du mal.

Richard Blin

La Nuit folle
Jacques Henric
Seuil, 240 pages, 19

Aux sources du noir Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°228 , novembre 2021.
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