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Essais Quand voir c’est dire

juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215 | par Richard Blin

En approfondissant et en analysant le « désir de voir », Laurent Jenny montre combien savoir regarder peut ajouter à ce qui est un surplus d’être.

Voir s’apprend. C’est en tout cas ce qui apparaît avec évidence à la lecture du Désir de voir de Laurent Jenny, un spécialiste de l’esthétique et de l’idéologie littéraire – La Terreur et les signes (Gallimard, 1983), La Parole singulière (Belin, 1990), La Vie esthétique (Verdier, 2013). Mais le désir de voir dont il est ici question n’est pas celui sur les origines et les déviations duquel la psychanalyse nous éclaire. Ce ne sont pas les racines inconscientes de tout ce qui se trame autour de l’acte de regarder qui intéressent l’auteur, mais la découverte et l’exploration de différents modes de vision. Car il y a regard et regard : celui qui se porte vite au-devant de ce qui lui est proposé en courant le risque d’un contact qui touche, absorbe, fascine et ôte le pouvoir de donner un sens, et celui qui maintient la bonne distance, permet l’observation et l’entrée en résonance avec ce qu’il rend visible.
Pour mieux comprendre ce qui nous retient dans une image, Laurent Jenny commence par se retourner vers la source de son propre rapport au voir. Il revient ainsi sur les différentes étapes de son désir de « plonger dans le visible »  : l’envie d’abord d’entrer dans les images du Journal de Mickey, puis le « terrible effroi mêlé d’une étrange jouissance » éprouvé en regardant une illustration représentant le Jugement de Salomon  ; les traits enfin, les graphes, les signes – « du sous-Michaux » – qu’il traça une nuit, sous LSD, et dont il dit qu’ils lui ouvrirent le visible. C’est alors qu’il commença à regarder. En partant de la ligne – « ce qu’elle risque, ce qu’elle trace, ce qu’elle rate, ce qu’elle fend et enclôt » – puis en s’attachant au noir, au « mystérieux travail du négatif », à ses démêlés avec le blanc, avant de s’ouvrir à la vie de la couleur, à « sa promesse de bonheur, ses persuasions et ses mensonges ». Puis à ce que retiennent et montrent en silence, les images construites.
Un itinéraire donc, entamé sous les auspices de Michaux et de ses peintures-idéogrammes, et poursuivi avec les dessins d’arbre d’Alexandre Hollan, qui trace non pas l’arbre mais le schème énergétique qui l’anime. Un désir de voir que va stimuler la découverte du sténopé, une boîte de bois, une camera obscura, percée d’un trou d’épingle, et pouvant accueillir une pellicule argentique. Sans viseur, elle ne permet pas de cadrer, d’où des images qui vont révéler à l’auteur la beauté de la vision désentravée, libérer son « désir d’arpentage », l’ouvrir au bonheur de tanguer entre cadre et décadrage, visible et lisible.
Car son désir de voir est inséparable du désir de dire, d’inventorier ce réel intrinsèque qu’est l’image. À commencer par celle qui naît de la respiration du noir et du blanc. Qu’il s’agisse de Degas explorant le blanc sur noir de la technique du monotype, de Soulages et de son outre-noir ou de l’inversion du visible propre à la photographie argentique, c’est la positivité du négatif qui nous est montrée, autant que l’inquiétante et spectrale beauté des dessous de la surface rassurante du monde.
Mais voir, c’est aussi assister au devenir-image de la matière picturale, « espace ouvert de pure jouissance chromatique ». En effet, si la vision de près engage dans les intensités, le labyrinthe, le maquis de cette matière picturale, il suffit de se reculer pour que la matière disparaisse sous l’image. Et Laurent Jenny de détailler le plaisir que donne une certaine manière de regarder la peinture, de répondre au type de regard qu’elle appelle. Car tout l’art des images consiste à piéger le regard, à l’engager dans des parcours, à l’inciter à arpenter le jeu de tensions qui compose l’image en instant. C’est ainsi que les sujets érotiques de Tintoret ouvrent le temps de voir, le font durer. En recroisant l’avant et l’après, l’immobilité et le mouvement, « l’instant Tintoret » noue « les traces peintes d’une narrativité » et l’aventure de notre regard « baladé lui aussi dans un temps de désir qui devient celui de la contemplation ». Ce choix crucial de l’instant, Chardin le connaît bien, qui aiguise la pointe de l’imminence, et que fascine « le temps devenu visible, contenu dans l’attente ». Quant à Bonnard, c’est la surprise première du regard qu’il peint, « l’effusion antérieure à toute mise au point ». Regarder un de ses tableaux, c’est « éprouver posturalement une forme de bousculade visuelle. L’espace soudain devient vivant ». Ce que Matisse, en désarrimant les motifs et les supports, les couleurs et les surfaces, rendra plus flagrant encore. Un tableau ne reproduit pas, il produit. Et on peut l’entendre avec les yeux.

Richard Blin

Le Désir de voir, de Laurent Jenny
L’Atelier contemporain, 168 pages, 20

Quand voir c’est dire Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°215 , juillet 2020.
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