À l’heure où les religions reprennent du poil de la bête, où Internet a remplacé efficacement le libelle – toujours anonyme et toujours ordurier –, où l’air ambiant commence à se faire étouffant à cause du retour d’un ordre moral s’exprimant comme toujours au nom du bien, et au moment où l’on se remet à confondre allègrement l’être social et la personnalité de l’artiste, le créateur et ses créatures, revenir à Sade, le relire, « sans refaire éternellement son procès », mais sans rien édulcorer non plus, ne peut que se révéler salubre. C’est ce qu’a fait Gérard Macé, et c’est ce qui nous vaut Et je vous offre le néant, le récit de sa lecture de Sade (1740-1814).
Comme Sade n’a jamais été pour lui un objet de fascination, encore moins d’idolâtrie, c’est avec une liberté absolue qu’il l’a lu. Une lecture qui tient du voyage d’exploration, d’un mouvement de découverte dont il transcrit les étapes, attentif aux échos et aux accords secrets qu’il décèle. Sade donc, lu pour ce qu’il est et ce qu’il dit, qui est souvent ce qu’on ne veut pas voir et que personne ne veut entendre : le retour du corps dans la pensée, le fait qu’il n’y a pas d’idées sans corps ni de corps sans idées, la somptueuse sauvagerie du désir, et tout ce qui se cache dans le refoulé propre à toutes les philosophies.
Tout part du Dialogue d’un prêtre et d’un moribond, qui emprunte sa forme aux dialogues philosophiques des Anciens et constitue le prologue de toute l’œuvre. Sade y affiche un athéisme sans concessions qu’il fonde sur la réfutation logique d’un Dieu qu’on peut impunément provoquer, qui ne réagit jamais, qui permet le mal et qui promet l’enfer à ses créatures. Dieu est une chimère, un fantôme : il n’existe pas. Une inexistence dont Sade tire toutes les conséquences pour l’homme, à commencer par le fait qu’il n’y a plus de limites. Jeté entre le néant et l’infini, l’homme doit affronter une liberté totale, celle de penser comme celle de jouir. Et Sade alors d’imaginer tout ce qu’il devient possible de faire, et ce depuis les lieux où il est enfermé. Délinquant sexuel plutôt banal, il aura cependant passé près de trente années en prison sans avoir commis aucun crime ou délit gravissime. Entre 27 et 74 ans, l’âge de sa mort, il n’aura passé que dix ans à l’air libre. C’est donc un corps exacerbé par les frustrations et les privations de la vie carcérale, qui écrit, pense, imagine, justifie, s’interroge sur la nature humaine. Car l’œuvre de Sade ne se réduit pas à l’érotisme, à l’extrémisme des scènes de débauche, à la déclinaison de l’alphabet infini du rapport physique.
Certes, quand Sade – doté d’un tempérament particulièrement vif, et adepte d’une sexualité se distinguant radicalement de sa fonction de reproduction – se fait romancier, c’est une sexualité où la violence, la douleur, le nonpareil sont des excitants indissociables du plaisir, qu’il nous montre. Pour jouir, le libertin a besoin de faire fructifier les désirs de la chair par la...
Essais Aussi sage que sadique
octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207
| par
Richard Blin
S’il a mis à nu les passions les plus crues et montré l’insoutenable théâtre du corps, c’est d’abord à la pensée et à la philosophie qu’appartient Sade. Démonstration par Gérard Macé.
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