Pas même quarante pages, et encore dans un petit format, mais c’est là un bijou. Daté de 1985, ce bref récit a été partiellement exploité par Bernard Lamarche-Vadel (1949-2000) dans Vétérinaires, prix Goncourt du premier roman en 1994. Lenteur envoûtante du propos et largeur de vues sont au cœur d’une histoire de flux et de tempo. À quel rythme doit-on vivre ? Sur quelle secrète fréquence ? Vétérinaire malgré lui, le narrateur n’entend pas se conformer aux conventions sociales qui exigent vie trépidante en collectivité et tensions. Au contraire cherche-t-il une forme d’harmonie de soi avec le monde – ce qu’il appelle « l’état stationnaire ». Non pas tant immobilité ou pure passivité devant la vie comme elle va, mais plutôt immersion dans le cours des choses, état méditatif proche du végétatif, conscience de la coexistence contradictoire de l’impermanence de tout et de l’immuabilité de l’existence. « L’état stationnaire ne peut jamais être tout au plus qu’un idéal, ou un sentiment général de la permanence des anecdotes et des accidents eux-mêmes, confondus dans le flux unique du laisser-faire. » Au bord de la Marne, entre deux déplacements auprès d’animaux qui requièrent à peine son aide et sa présence, cet homme laisse naître en lui, donc, une célébration involontaire de l’ordinaire. À travers des pages d’une sensorialité aiguë, où l’espace, la matière et les énergies naturelles nourrissent des « exercices de saveur », Bernard Lamarche-Vadel signe un chant du monde d’une grande délicatesse. Ou tristesse, objecteront certains. S’il n’est pas sûr en effet que cette ode ne soit pas un peu morne, elle suggère en revanche de façon certaine que la lucidité est bien le meilleur de ce que nous avons à offrir au monde. Anthony Dufraisse
L’État stationnaire, de Bernard Lamarche-Vadel
Éditions Unes, 41 pages, 12 €
Domaine français Etat stationnaire
octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le Matricule des Anges n°207
, octobre 2019.