La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Filiation, passion et identité

mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203 | par Thierry Guinhut

Une variation sur le mythe d’Œdipe par le romancier turc Orhan Pamuk.

La Femme aux Cheveux roux

En témoignent les épigraphes venues de Sophocle, Nietzsche et Ferdowsî, la relation du fils au père, ainsi que la perte de ce dernier, est bien le fil conducteur de ce nouvel opus du Turc Orhan Pamuk, originellement paru en 2016. Certes, il n’y a guère de roman sans amour, en l’occurrence pour La Femme aux cheveux roux proposée par le titre.
Le roman de formation d’un jeune homme, Cem, prend son envol à la disparition de son père ; est-ce à cause d’une arrestation politique, d’une infidélité conjugale ? On ne sait. Quant à l’adolescent, va-t-il se diriger vers une carrière scientifique, pour honorer la figure paternelle, ou vers son plus puissant désir : « être écrivain » ? Pour pouvoir poursuivre des études universitaires, il faut bien alors vaquer à de petits boulots, aide-libraire et apprenti puisatier avec le « Maître Mahmut », charismatique initiateur, raconteur d’histoires et père spirituel éphémère. En retour Cem lui conte celle d’Œdipe, qui n’a guère de succès.
La rencontre avec la femme du titre est presque magique : « Nous nous étions regardés comme si nous cherchions tous deux la trace d’un souvenir, avec une insistance presque inquisitrice ». En son théâtre, se racontent et se jouent des bribes d’Hamlet, des mythes et des légendes. Ainsi toutes ces histoires sont les mères de l’écrivain en herbe, qui devient l’amant d’une nuit de celle qui a le double de son âge. Lorsqu’un accident survient sur le chantier d’un puits, il faut se demander s’il ne s’agit que d’un fait divers ou de la métaphore du meurtre du père, qui fait de Cem, croit-il, « un assassin », ou encore de la carence paternelle.
Le désarroi existentiel et moral accable Cem au retour à Istanbul : « un être dépourvu de conscience et de cœur au point d’abandonner son maître à la mort au fond d’un puits pouvait-il devenir écrivain ? » Ses études en « ingénierie géologique » ne sont à cet égard pas innocentes, n’en continuant pas moins son travail à la librairie, ses lectures, entre Sophocle et Freud. Une étudiante, bien que « châtain clair » lui rappelle la belle rousse et devient sa femme. D’où vient alors leur « frustration de ne pas avoir d’enfant » ? Devenu un homme mûr, la quête de la Femme aux cheveux roux par Cem répond à celle des manuscrits du Livre des Rois de Ferdowsî, dans lequel Rostam tue son fils Sohrâb. Ainsi la recherche d’un passé mythique s’adosse à celle d’un passé personnel, qui assurera enfin des révélations cruciales, politique, filiale et criminelle, y compris grâce à une narratrice rousse…
Parallèlement à l’évolution de la perception et du caractère de Sem, assurée par l’analyse psychologique, le tableau de société s’élargit. Militaires, étudiants sont rapidement brossés, le travail de Cem le conduit en Iran avant la Révolution islamique, alors que la «  laïcité  » n’est guère discutée en Turquie. Sa situation sociale est privilégiée, sauf inquiétude et remords : « Mais quelquefois je me demandais ce que dirait mon père s’il savait que j’étais comme cul et chemise avec les dirigeants du parti au pouvoir  ».
Notre héros n’écrira pas, « dans une veine épique et encyclopédique » sa Structure géologique de la Turquie… Cem étant qui sait un avatar d’Orhan Pamuk lui-même, alors que son ardeur de romancier n’a pas négligé l’autobiographie, dans Istanbul, qui est peut-être son livre emblématique. Il n’en reste pas moins que la puissance d’évocation est intacte, entraînant le lecteur dans l’immédiate efficacité de la narration, que le réalisme est tissé de poésie lyrique et tragique. Car les mystères d’un être sont mis en relation avec la dimension universelle des mythes, dans le cadre de l’histoire d’un pays parcouru de tyrannies militaires et religieuses, tout cela d’une main de maître.

Thierry Guinhut

La Femme aux cheveux roux, d’Orhan Pamuk
Traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy,
Gallimard, 304 pages, 21

Filiation, passion et identité Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°203 , mai 2019.
LMDA papier n°203
6,50 
LMDA PDF n°203
4,00