Jadis, le terme Esquimaux ou Eskimos qualifiait les habitants du Cercle polaire. L’explorateur-écrivain Paul-Emile Victor avait su le rendre aussi âpre que rond et chaleureux avec son Apousiak, le petit flocon de neige qui conquit toute une génération. Il apparaît aujourd’hui péjoratif, insultant. Depuis 1970, les Canadiens utilisent Inuits pour les nommer. Ils ont aussi rebaptisé Nunavik, « notre terre », leur territoire composé de lacs sculptés par les glaciers, de toundra et de forêts polaires. Si les ancêtres des Inuits ont eu des contacts avec les Vikings, c’est au XIXe siècle que la rencontre avec les Blancs fut aussi déterminante qu’exterminante. Décimés par les maladies exogènes, évangélisés, colonisés, déportés, privés de leurs enfants raflés dans des pensionnats religieux censés les civiliser en les coupant de leurs racines, croyances, coutumes, cosmos, les Inuits survivent… Mais à quel prix !
Née en 1985, à Montréal, Juliana Léveillé-Trudel pratique l’écriture théâtrale et fonde le Théâtre de Brousse. En parallèle, elle travaille dans le domaine éducatif et organise des colonies de vacances au Nunavik. Consignant ses observations, elle en fera un roman composé comme un journal intime écrit au jour le jour, Nirliit. Deux histoires s’en échappent. Celle d’Eva, une amie inuite assassinée, noyée dans un fjord, victime de la violence faite aux femmes, encore plus fréquente dans ses contrées où alcoolisme, drogue, violence, désespérance, acculturation font bon ménage. Elle l’interpelle pour essayer de comprendre, de faire son deuil. « Tu le sais, toi, Eva, grand-mère à quarante ans, ton fils Elijah et la jolie Maata, la jolie et minuscule Maata, seize ans et un bébé dans le capuchon, seize ans et caissière à la coop, le bébé dans le landau à côté de la caisse, mais tu étais si fière, Eva, vous autres vous aimez les enfants plus que tout au monde, vous les aimez mal, souvent, mais vous les aimez. » La seconde évoque les rencontres entre Blancs, qui saisonnièrement occupent les emplois les plus valorisés, et autochtones vivant d’aides et de jobs précaires. Elle y met en scène le fils d’Eva, Elijah ou plutôt sa compagne qui s’éprend d’un charpentier canadien, divorcé. Tout à la fois lyrique et crue, l’écriture de Juliana Léveillé-Trudel frappe directement au foie, aussi bien quand elle décrit des paysages renversants comme des aurores boréales que la réalité sociale des Inuits.
Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire Nirliit ?
En 2011, en compagnie d’une amie enseignante, j’ai fondé un camp de jour dans le village inuit de Salluit. J’y ai passé trois étés. Salluit était un lieu immensément inspirant, hautement littéraire. Il se passe là-bas des histoires incroyables comme dans une pièce de Shakespeare ou de Wajdi Mouawad. La vie est d’une intensité, parfois aussi d’une démesure qui ne se compare pas avec nos vies rangées de Québécois du Sud. J’ai pris des notes, écrit de petits bouts d’histoire en souhaitant en...
Entretiens Crépuscule glacé
novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198
| par
Dominique Aussenac
Par un premier roman brut, cru, lucide, la Québécoise Juliana Léveillé-Trudel décrit le peuple inuit en butte aux affres d’une certaine modernité.
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