Le premier roman de Myriam Wahli bouscule avec espièglerie les habitudes de lecture et donne de l’enfance une vision empreinte de noblesse. Anticonformiste, un brin rebelle, une petite fille de 10 ans déambule dans son hameau du Jura bernois. Au fil de ses balades, elle pose sur ce qui l’entoure un regard brut et des pensées sans virgules. Elle garde pour elle ses sentences pleines de bon sens, histoire de ne pas trop bousculer les conventions : « Moi je suis la petite et si la petite dit ça c’est la claque ». Douée d’un sens très développé de l’observation et de l’introspection, elle dénonce ce qu’elle perçoit comme une forme de manipulation. Non seulement les adultes confèrent un sens unique aux mots qu’ils utilisent, mais ils imposent leur vision du monde aux plus jeunes, chargés ensuite de la reproduire. Un malheur n’arrivant jamais seul, ils répandent autour d’eux des nappes de non-dits envahissants et pesants. Leurs « règles fantômes », sournoises et difficiles à remettre en cause, entretiennent une organisation sociale coercitive. De quoi définir une bonne fois pour toutes ce que doit être « une gentille petite fille ». Inscrit dans une forme d’urgence, le discours intérieur de l’enfant répond à ces carcans par la fluidité. L’écriture instinctive de Myriam Wahli lui confère ce naturel. Elle donne un accès direct à une poésie simple et évocatrice, née dans une solitude bucolique : « Comme la pluie qui pèse sur la terre les paupières pèsent sur les yeux et je rêve ».
Ces pérégrinations sont aussi l’occasion de dresser quelques portraits bien brossés. L’enfant passe du temps avec le Rossé, qui comprend ses petites fugues champêtres. Elle évite la Rose, qui n’a pas eu d’enfants et comble ce manque en collectionnant des poupées de porcelaine au visage inquiétant. À sa manière, libre et spontanée, le jeune personnage de Myriam Wahli donne une dimension humaine à la rationalité des grands : une philosophie de la contestation pleine de fraîcheur.
Franck Mannoni
Venir grand sans virgules, de Myriam Wahli
L’Aire, 94 pages, 20 €
Domaine français Venir grand sans virgules, de Myriam Wahli
juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195
| par
Franck Mannoni
Un livre
Venir grand sans virgules, de Myriam Wahli
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°195
, juillet 2018.