Jars « ineptes au vol, c’est peu dire », taureaux « l’anneau au nez », étourneaux « jetée de plombs dans le ciel sombre » : on retrouve ainsi les bêtes dont les poèmes de Pascal Commère sont souvent peuplés, vaches plus souvent que taureaux, auxquelles les hommes sont liés. Rassemblés sous un titre énigmatique les poèmes ici alternent des formes variées. Ténus comme dans les livres d’Antoine Emaz (« ce qui dans les mots est/ plus difficile encore/ à serrer ») ou déployés sur toute la page, les vers font entendre leur staccato retenu ou précipité. Une urgence parfois accointe les mots, comme s’il fallait au poème vite donner à voir une image fugitive, celle par exemple le soir « des gamines de Bucarest débarquées de nuit en lisière des forêts d’État/ entre les pare-chocs des Mercédès du grand marché/ l’éclat d’une jupe de cuir ras, chair cabrée ». Il arrive que le poème joue, moqueur, d’allitérations en césures, lorsqu’il évoque le jars. Manière, peut-être, de désamorcer la douleur quand le regard se pose sur les hommes « à l’écart qui aboient comme on cause sans réelle/ prise en compte de l’état du monde ». Ou façon de trouver à employer autrement la colère : « Comment savoir ?/ — Et de quel savoir tient-on pour acquis/ le droit de quelques-uns d’avoir mainmise sur le Tout ? »
Reste au final l’énergie d’une langue qui s’invente pour saisir « le monde/ qui vient vers nous, chiffonné tel un drap/ qu’on sort à la fenêtre. » Et tenir la mémoire des sans noms comme dans ces belles pages écrites autour d’un enterrement où la langue fait cinéma : « Ceux venus à toute blinde ils s’en vantent/ souffle court, pour repartir idem chevauchant mobylette,/ ayant fissa jeté l’engin : contre le mur,/ ». Pascal Commère cite le poète argentin Antonio Porchia : « le beau, on le trouve en remuant les décombres. » Et cela est déjà un art poétique.
T. G.
Territoire du coyote de Pascal Commère
Tarabuste, 145 pages, 15 €
Poésie Territoire du coyote
mai 2018 | Le Matricule des Anges n°193
| par
Thierry Guichard
Un livre
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°193
, mai 2018.