Marc Biancarelli, écrivain de sang
On peut naître corse sans être né dans l’Île de beauté ; exilé, avant même d’avoir été mis au monde, par le destin ou l’engagement familial. C’est le cas de Marc Biancarelli qui signe Marcu Biancarelli les textes qu’il rédige dans la langue insulaire. Marc (ou Marcu donc) voit le jour en Algérie où ses parents enseignent depuis dix ans sans que la décolonisation n’ait interrompu ce qui chez eux semble un engagement. « Mon père, communiste, s’était mis du côté de l’indépendance algérienne. » Il est directeur d’école et reste donc avec sa femme et trois fils qui ont 7, 6 et 2 ans quand naît Marc, en 1968. Deux ans plus tard, la famille part à regret pour les Vosges où l’Éducation nationale l’envoie et s’installe aux Granges de Plombières dont internet peine à trouver le nom de ses habitants. « Gamin j’ai fait les foins avec mes copains de classe. Mon père y était directeur d’école. Ma mère enseignait aussi, puis elle a pris sa retraite anticipée quand ma sœur est née. » Il faut dire qu’en trois générations seulement les Biancarelli enjambent le siècle : le grand-père paternel a eu à 45 ans le futur père de Marc. « Ça m’a toujours interpellé ; j’ai un grand-père qui est né en 1895. C’est anecdotique mais je pense que ça explique pourquoi je parle un corse un peu plus riche, plus enraciné, que la plupart des gens de ma génération. »
Les grands-parents paternels sont de Porto Vecchio ; du côté maternel on est de Vescovato (des noms qui, même écrits, s’entendent avec l’accent corse…). « Le père de mon père a quitté l’école très tôt. Il gardait les chèvres dès 5 ou 6 ans. » Mobilisé en 1914 (et l’on pense aux pages ensanglantées de Murtoriu), il est fait prisonnier en 1916 et après la guerre s’engage dans l’armée coloniale au Maroc, en Syrie, au Sénégal. « Il a épousé ma grand-mère au cours d’une permission, une femme d’une grande famille de propriétaires terriens de l’intérieur de l’île. Elle est morte alors que mon père n’avait que 3 ans, au moment où les Italiens occupaient la Corse. » L’Histoire s’invite vite dans la biographie de l’auteur de Massacre des Innocents. D’autant que le grand-père maternel est tué en 1943 par les Allemands : « Il y avait des combats partout dans la Plaine orientale, les partisans harcelaient les troupes d’occupation et ils en ont payé le prix. Dans la plaine de Vescovato, mon grand-père et d’autres hommes du village ont été surpris dans une bergerie. Ils s’y sont fait massacrer. » La mère de l’écrivain avait alors six mois : la mort aussi s’invite dans ces vies-là. Figure familiale le grand-père maternel avait beau avoir quitté l’école jeune lui aussi, il passe pour un instruit : « il partait aux bêtes avec un journal sous le bras, il était résolument de gauche. Il boitait parce qu’un instituteur lui avait cassé la hanche d’un coup de pied lorsqu’il était enfant. » La veuve sera le seul grand-parent que Marc aura connu : « Elle ne parlait pas français, ou très peu, comme la plupart des gens de sa condition. »...