Polaris fait partie de ces lectures à hauts risques, de celles qui ébranlent tous les repères, malmènent jusqu’à la transe, et soumettent le lecteur, ce voyeur, de façon superbe. Nous voici ébranlés et total addicts. Polaris, premier roman traduit de l’Espagnol Fernando Clemot, plonge dans des lieux inconnus, méandres de la mémoire, enchevêtrements d’imaginaire, de fantasme, fouillent les trous noirs de l’âme humaine et de la raison.
Reprenons. Il était une fois, en 1960… un vieux rafiot déglingué, une ombre sur les eaux noires. Il palpite, craque et gémit, suinte et empeste, machine maléfique défiant peut-être Moby Dick. Il a pour nom Polaris, des rumeurs traînent à son sujet. Ne serait-il pas un vaisseau fantôme ? Mais passons. Il fait cap vers le Grand Nord, et stoppe sa course au large d’une île norvégienne désertée, offerte à tous les vents, toutes les démesures. Le Polaris exécute de nébuleux forages et reçoit ses ordres de « La Centrale », entité si mystérieuse que tout est possible. Est-ce une entreprise ? une organisation mafieuse ? des services secrets ? ou la main de dieu ? Questions qui resteront sans réponse, ou presque… Quittons la passerelle, l’océan en fureur, et descendons dans le ventre de la bête. L’équipage est aux arrêts, mess et infirmerie transformés en salle d’interrogatoire. Pourquoi ? Ceci est une autre histoire… Christian, officier médecin, répond aux questions de deux enquêteurs de « La Centrale ». Là, intervient toute la prouesse de l’auteur. Sa construction narrative mêle dans un même paragraphe l’interrogatoire et les souvenirs foutraques du toubib. Le suspense s’enflamme dans un huis clos kafkaïen où nous ballotterons de surprises en révélations, de points de vue philosophiques en fables prémonitoires. De quel camp était Christian pendant la Seconde Guerre mondiale ? À quelles expérimentations s’adonne-t-il sur les membres de l’équipage ? Pourquoi est-il obsédé par les rêves ? Pourquoi se drogue-t-il ? Quelle lâcheté – ou peut-être pire – cache-t-il en son âme ? Est-il croyant ? Oui. Est-il repentant ? Non. Est-il monstre ce personnage à l’intelligence malsaine ? Ou est-il figure symbolique du chaos qui nous gouverne ? Où se niche la vérité ? Où surgit la dictature ? « L’homme accompli, rationnel, est un génocide en puissance. L’homme a besoin de limitations, la peur de sortir de la caverne et, s’il n’a pas cette peur, il n’a pas de rivage auquel accoster. »
Fernando Clemot, d’une plume experte, aussi sarcastique que troublante, sonne le branle-bas de combat. Il remue ciel et mer, étripe son toubib dans une lutte intellectuelle surchauffée. Il lui fait cracher par bribes explosives des vérités enfouies depuis des lustres. Confession sans concession, Polaris réinvente l’art de la rhétorique tout en nous faisant voguer loin, bien loin, dans les méandres de la conscience. Martine Laval
Polaris, de Fernando Clemot, traduit de l’espagnol par Claude Breton, Actes Sud, 240 pages, 21,50 €
Zoom Ancre noire
octobre 2017 | Le Matricule des Anges n°187
| par
Martine Laval
Ambiance crépusculaire, huis clos subversif, dramaturgie hallucinante : Polaris scrute la mémoire et met les nerfs à vif.
Un livre
Ancre noire
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°187
, octobre 2017.