Rester vertical pourrait être le titre du projet d’écriture auquel se donne Jean-Claude Schneider rageusement depuis plus de cinquante ans. Et ce pour inscrire sur la surface du papier, presque vainement dirait-il, cette verticalité de l’homme qui marche et poursuit, malgré tout. Vertical reprend donc le dessein de ce « il », et dans les casses de sa graphie, dans le déploiement d’un poème rogné, désaxé, dégondé de sa syntaxe commune, le conduit malaisément vers on ne sait quelle lutte. Le voilà donc, « il » est sous le ciel gris ardoise, habitant jeté là, attenant à quels augures trompeurs, et à quelques mensonges que les mots, véritables mouches vrombissantes, rabâchent encore jusqu’à sa bouche… ? C’est l’une des questions que pose la poésie de Jean-Claude Schneider, celle du dévoiement du langage, du verbiage creux, de la manipulation qu’il suppose, et ce avec une violence et une fulgurance parente de celle de Jacques Dupin : qu’on entende, par exemple « l’empêchement de tout récit », le sens qui vient l’engorger jusqu’à lui faire vomir son fatras, ce qui « s’ébroue / dans la mêlée où butine / la / mouche à chiens », ou cette « processionne chenille / [qui]bave », jusqu’à cet imprononçable : « le [ ] de pro(li)fération de / la h / imprononcée d’/ horreur ». Car d’un « roncier enfoncé dans la gorge / tessons – / giclent langue ongles », mais est-ce « d’homme encore que jouir / d’écouter s’égoutter là le temps ruisseau / de vie saignante » ?
Expressionniste (il traduisit Georg Trakl), baroque presque, maltraitant la langue comme une argile de torrent, la poésie de Jean-Claude Schneider s’apparenterait volontiers aux vastes champs de plomb des tableaux du peintre allemand Anselm Kiefer, par la puissance des ellipses et l’évidence de sa rage rongée de douleur : « peuples nocturnement migrent – / convoi fin du ballast – / commence l’ / inarticulé ». C’est que la « cassure / va hachée poémant l’âpre / et parle // mais / pas aux nébuleuses – », c’est le prix de la véritable littérature qui, on le sait, donne des leçons (Mandelstam).
E. L.
Vertical, de Jean-Claude Schneider
La Lettre volée, 144 pages, 19 €
Poésie Vertical
avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°182
, avril 2017.