La revue Dits travaille depuis presque dix ans à collecter les images (et leurs textes critiques afférents) de positions singulières dans les arts et la littérature, de leurs affirmations volontaristes (le dandysme, le rock) à des études genrées (la famille, le récit, la poésie, l’hybride, les médias), des propositions interrogatrices (geste, dépeindre)… Chaque ensemble est pensé selon des axes multi-pistes et pluri-disciplinaires, toujours didactiques (des cartels à part forment de petites notes). Pour ce numéro consacré aux paresses, nous découvrons pas mal de choses du pastel sur papier Les pantoufles (1958) réalisé par le discret peintre belge Maurice Pirenne. Ayant choisi de ne peindre que ce qu’il voyait par sa fenêtre, Pirenne renvoie à La mélancolie de Dürer ou à L’indifférent de Watteau. À lire son journal de remarques, que ce charmeur dégingandé et sans passion nommait sa poubelle, on comprend mieux les raisons de son impassibilité (à toute reconnaissance) et l’endurance à poursuivre son travail comme celui d’« un long mouvement de dépouillement ».
Acte de renoncement très moderne qui consista à abandonner, dixit Pirenne, « tout ce qui dans l’art de peindre n’est pas purement de la peinture ». Merveilleux combat minimal que continua le flegmatique Gaston la Gaffe, ici convié à partager l’analyse faite de ses machines avec les fabrications de la surréaliste Meret Oppenheim et son Déjeuner en fourrure (1936), les lunettes à un verre (L’introuvable, verre, 1937) de Marcel Mariën ou encore le Beurre en stick de l’ingénieur japonais K. Kawakami. Plus loin, les captures vidéo de Ragnar Kjartanssonn donne le change à une ironie légère (jouer du piano dehors par moins 10°C), comme hilarantes apparaissent les « lettres de non-motivation » de Julien Prévieux. Plus terrifiant, malgré le comique de situation, fut le procès qu’intenta la General post office anglaise à l’artiste Genesis P-Orridge qui s’amusait à envoyer des cartes postales pornographiques à ses amis ! Génial non-sens glissé dans la fente de la circulation des marchandises, ne servant à rien qu’à la dépense d’une économie libidinale déjà larvée, et à faire lien avec la paresse comme pratique abusivement oblomovienne et subversive. Le fameux et inévitable Élevage de la poussière (1920) de Man Ray/Duchamp dont M. Daniel nous dit le pouvoir inaliénable et irradiant de ne rien faire, sinon de s’amonceler pour nous étouffer, en serait l’emblème par excellence, « matière impossible à domestiquer », comme si le coktail Bartleby (1853) + son tenace « I would prefer not to » envahissait toutes nos activités, les rendant dérisoires et caduques, « l’oisif niqu(ant) la mort » (Laurent Busine). Emmanuel Laugier
Dits N° 21, Musée des arts contemporains au Grand-Hornu (Belgique), 148 pages, 18 €
Revue Éloge du rien à foutre
janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179
| par
Emmanuel Laugier
Avec son dandysme didactique, la revue belge Dits aborde l’art (pas facile) de paresser.
Un livre
Éloge du rien à foutre
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°179
, janvier 2017.