Né en 1981 à Jacmel dans le sud d’Haïti, Inéma Jeudi exerce comme journaliste à la Télévision nationale d’Haïti et c’est sous son nom de plume, Jeudinéma, que ses textes ont d’abord paru en revues. Il est également membre de la maison d’édition associative, l’Atelier Jeudi soir, créé par Lyonel Trouillot. Ce dernier préface Le Jeu d’Inéma, premier recueil de Jeudinéma publié en France. Si l’on en croit Lyonel Trouillot, nous sommes ici entraînés « dans ces quartiers que l’on dit de non-droit, dans ces queues de ville, vestiges ou excroissances, cités béton-carton où le marcheur ne marche qu’à ses risques et périls. » Le préfacier compare « la fulgurante révolte » qui irrigue Le Jeu d’Inéma à celle d’Une saison en enfer. Toujours selon Trouillot, il est vrai que l’on entend ici, « la fête sous le désastre ». Les mots de Jeudinéma sonnent comme un défi. C’est du moins une gageure que ce lyrisme revendiqué. Invoquer les pouvoirs de la Muse, est non moins audacieux. L’énergie qui circule transfigure la colère et lui donne la force de l’ironie. Il y a là quelque chose d’une victoire. Tiendrait-elle du miracle ? Rappelant cette alchimie du verbe toute rimbaldienne, la révolte qui a lieu ici, est créatrice et reprenant ainsi ses droits, la parole en devient libératrice.
Le Jeu d’Inéma se présente comme un diptyque, où l’on voit se succéder les étapes d’un parcours, pareil à un retour sur soi. Maniant tout un registre émotionnel, le jeu poétique tel un jeu amoureux fait se rencontrer les affects les plus solaires et les plus nocturnes. Les mots surgissent dans leur évidente beauté, jetant l’éclat de leur résonance : homonymies et homophonies n’ont de cesse d’emmêler le sens pour mieux le démêler. Car, il s’agit bien de faire « l’amour en présence du verbe ». Une sorte d’érotisme s’empare de cette poétique qui conduit à « tout casser du nord au sud / (…) Défaire le nœud de l’habitude ». Mais l’éros qui parle ici dialogue tout autant avec la mort : « le beau est mortel combat ». À quoi s’affronte-t-on alors ? Les mots disent le réel, et ne le travestissent pas seulement. L’art poétique qu’énonce Le Jeu d’Inéma tend à la joie incantatoire et par la puissance du dire, à réconcilier l’homme et le langage. Le locuteur plaide en faveur de son « dur devoir lyrique », et la ballade que nous conte Inéma n’a rien de léger. Si elle laisse advenir « l’espérance sève d’éros », le sens se révèle tout autant par le rythme. Fidèle à son étymologie, la ballade prend un tour dansant, jusqu’à une sorte de commotion, qui bouscule la langue et la fait tanguer. Les jeux de mots et de sonorités se jouent de la structure syntaxique et en bouleversent le sens attendu. La violence de vivre doit retentir dans le poème : « Pour moi / le mot ne sert pas à parler / Mais à tressaillir ». Ce jeu de langage et avec le langage redonne aux mots leurs pleins pouvoirs. De par ce moi lyrique qui mène la danse, prendre possession des mots serait tout aussi bien reprendre possession de soi et d’une forme de vie qui défie sans cesse la mort : « Puisqu’à la mort l’encre impose le silence / je la fais dernière rature / De ma colère ayant droit de cité ».
Emmanuelle Rodrigues
Le Jeu d’Inéma
De Jeudinéma
Préface de Lyonel Trouillot, Le Temps des cerises, 142 pages, 12 €
Poésie Le jeu des mots
juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174
| par
Emmanuelle Rodrigues
Un livre
Le jeu des mots
Par
Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°174
, juin 2016.