Pour Simon, « tout est question d’horizon ». Le sien, il se nomme La Gloye, un lieu-dit dans le Jura. La narration se fait sous le mode du tutoiement, et ce « tu » s’adresse à nous lecteur, et nous accroche d’emblée, nous contient fermement dans le corps et l’horizon de Simon. Un grand corps à la cuisse forestière, en marche incessante dans les bois, entre chevreuils sauvages – « Il faudra bien un jour que tu parles de cette violence de ce plaisir – de vouloir rejoindre les bêtes. » et les vaches, « qui deviennent tes sœurs. C’est le mot qui te vient ». Le mot qui nous vient, face à ce « tu » qui nous rapte, c’est aussi celui de la fraternité. C’est ainsi que dans le corps de Simon, dans l’esprit de Simon, nous avançons, à l’aise dans ses basques. Avec lui nous remontons le temps, cette époque heureuse de la ferme du grand-père à La Gloye, et avec lui nous tombons : la vente de la ferme signe la fin de l’enfance. « Le grand-père et toi sur ses genoux cagneux, dans la sciure, comme deux chiens affligés dans la même niche. » Simon reviendra, quitte à vivre dans une cabane, à prendre l’autobus à l’aube pour se rendre à son travail. Rien n’est plus fort que l’appel de la nature. Mais, située à quelques kilomètres de la ville, La Gloye attire les envies immobilières d’un gros industriel. La commune ne saurait laisser passer une telle opportunité. L’année précédente déjà, la construction d’une nouvelle route avait obligé l’arrachage d’un verger, le rétrécissement de la forêt. Et il y a la fin du Petit train du nord, conduit par Freddy. Trop vieux. Ce délitement, ces changements, sont autant de coups furtifs mais profonds portés à la nature – « Tu ne pourras rien pour elle. Pas vrai ? Rien ! Rien ne sauvera la lenteur. » –, Simon les reçoit dans son corps, et son horizon défaille. À pas sûrs, Parti voir les bêtes de l’auteur belgo-suisse Anne-Sophie Subilia nous imprègne de l’amour passionné de Simon pour sa campagne et ses forêts. Un monde qui tremble, à la frontière de sa propre disparition : « Un jour le monde deviendra muet. (…) L’enfer est sans oiseaux as-tu lu quelque part ».
Virginie Mailles Viard
PARTI VOIR LES BÊTES
D’ANNE-SOPHIE SUBILIA
Zoé, 142 pages, 15 €
Domaine français Pays perdu
juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Pays perdu
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°174
, juin 2016.