D’un côté, nous avons donc Homer : un physique à la Jacques Tati qui pourrait le rendre cocasse et attachant, une fantaisie de comptable (ce qu’il est), mesuré en tout et imprévisible en rien. Homer vient voir Sybil, femme entre deux âges, qui aux beaux jours est « souvent dans le jardin, en train de lire ou de biner ses massifs de fleurs » et qui ressemble à une Emma Bovary que le romantisme n’aurait jamais touchée. La femme d’Homer l’a quitté pour partir vivre sous le soleil de Nicosie avec le mari de Sybil. On comprend assez bien pourquoi et on les envie, nous qui restons à suivre la non-vie des deux trompés.
Donc ils se rencontrent, papotent, décident de se revoir et vont tisser ensemble une relation platonique et bavarde assez barbante pour ne pas dire franchement emmerdante. La conversation, qui les lie plus que le désir, s’étire sans énergie, comme si son rôle consistait à faire passer le temps ou à maintenir la vie et ce qu’elle suppose d’actes, hors d’eux. Il faut s’accrocher sérieusement au livre pour ne pas sombrer dans un sommeil profond, comme le font d’ailleurs souvent nos protagonistes. On pourrait saluer le projet littéraire de Patrick Lapeyre : s’intéresser à de si ternes personnages, en peindre l’abyssale vacuité, voilà qui est osé. Le problème, c’est que le style du livre est à l’image de ce qu’il dépeint : convenu, sans énergie ni éclats. Les phrases semblent occuper l’espace de la page uniquement pour l’occuper, comme la conversation occupe le temps qui passe : « Les rues Paul-Éluard, succédant immanquablement aux avenues du Général-Leclerc, Homer avait en roulant le sentiment agréable de se fondre dans le paysage récursif et monotone de la banlieue, et de devenir n’importe qui, allant n’importe où… » Plus loin on trouve un « Homer, haletant d’intérêt » (sic) quand Sybil lui dit que son mari est un coureur de jupons. Le temps s’égrène sans consistance. Le livre, tel une montre Suisse, nous donne l’heure à chaque chapitre avec une précision qui n’apporte rien : ainsi lors d’une escapade sur l’autoroute dans « l’Audi pétaradante », « le panneau suspendu au péage indiquait qu’il était seize heures quarante-sept et que la température sous abri était de vingt-neuf degrés… » Une température caniculaire pour des êtres aussi tièdes.
Que le roman tisse des phrases creuses sur un vide narratif, passe encore. Mais pourquoi le faire dans une langue de rédaction scolaire, aux clichés éculés et semée de maladresses confondantes, comme ce passé simple bizarrement amené : « pendant des jours, au cours de ses voyages et de ses soirées à l’hôtel, Homer se remémora cette nuit dans la maison de Sybil… » ? Pourquoi ces phrases d’une lourdeur de plomb pour ne rien dire, comme « La foule était toujours aussi dense sur le boulevard et ils marchaient au hasard dans les rues adjacentes colorisées par les derniers rayons du jour, pendant qu’elle lui racontait par le menu toutes les courses qu’elle avait faites dans Paris. » ? Même les changements d’époque et les chapitres consacrés à Ana, la mère de Homer, sorte de Mrs Dalloway qu’on suit en 1981 à Bâle n’y changeront rien : on s’ennuie ferme, on ne saisit pas la nécessité d’un roman aveugle au monde, sans prise de risque, à l’écriture encombrée. Et désespérément vide : « Il la regarda avec encore plus d’attention comme s’il attendait une suite – et Sybil attendait peut-être elle-même une suite –, mais il ne se passa rien, ni d’un côté ni de l’autre. » Rideau.
T. G.
La Splendeur dans l’herbe
de Patrick Lapeyre
P.O.L, 384 pages, 19,80 €
Domaine français Les heures creuses
mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171
| par
Thierry Guichard
Le nouveau roman de Patrick Lapeyre ne retrouve pas la splendeur fraîche de ses premiers livres. Le vide a inoculé la langue. Soporifique.
Un livre
Les heures creuses
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°171
, mars 2016.