Raymond Carver, le cœur et l'ouvrage
- Présentation Explorer le connu
- Entretien Et puis Carver est devenu Carver
- Papier critique Ballades sans harnais
- Papier critique Vertige de l’ordinaire
- Autre papier « Il écrivait des choses terribles »
- Autre papier Bascule
- Autre papier Sonate nocturne
- Autre papier Carver ailleurs Carver l’autre
- Autre papier Entrer, s’attarder
- Autre papier Le bonheur, désespérément
- Autre papier Soudain, Carver
- Autre papier Croire en l’amour
- Autre papier Innocents
Un beau jour, à force de trimer, Carver osa faire du Carver. Ou Carver devint Carver, un type capable d’inventer des histoires si intemporelles qu’elles sont encore aujourd’hui pertinentes, qu’elles font toujours tilt chez le lecteur. C’est à cela, paraît-il que l’on reconnaît les grands écrivains. Ils ne défient pas le temps, ils sont hors du temps. Nombreux sont les lecteurs, écrivains ou quidams de la littérature, à s’être fait prendre la main dans le sac, époustouflés par l’intensité Carver.
Le grand absent Pierre Autin-Grenier, prince de la chose brève et du désenchantement, aurait sans nul doute aimé participer à cet hommage Carver. Il découvrit l’auteur américain en 1987 avec Tais-toi, je t’en prie. Voici ce qu’il en retenait : « Carver avait le grand chic pour imposer d’emblée et sans qu’il y paraisse du tout une complicité, une véritable osmose entre son lecteur et ses personnages, cela qu’on y consente ou non. C’est l’identification par l’émotion. » (…) PAG cite une phrase de Carver : « Mon mariage venait de capoter et j’étais sans travail », et poursuit : « passé deux pages à peine et vous voilà vous aussi dans le pétrin, à deux doigts de feuilleter les offres d’emploi, vous demandant, anxieux, si votre femme ne se serait pas enfuie avec un grand frisé pendant que vous lisiez. » Lire, c’est dangereux… Relire tout Carver, ce sont des vitamines du bonheur, conclut un PAG fiévreux : « Cela m’a redonné le furieux besoin de me remettre au travail, tel un naïf en somme qui rêverait de se colleter avec l’inaccessible. » 1
Mêmes frissons, mêmes recherches de perfection, chez Richard Ford, l’ami, l’élève, peut-être le fils spirituel, tout droit sorti des sillons du Raymond : « Les nouvelles de Carver faisaient que l’on avait envie d’être son ami. Il écrivait des choses terribles, et les gens l’aimaient. C’était là sa grandeur. C’était un type généreux. Il m’a aidé à être publié. Je suis là, il est parti. Je continue. Parfois, j’ai l’impression que ma chance vient de ce que Ray soit mort… » 2 La nostalgie n’empêche rien. Richard Ford peut s’enorgueillir d’avoir écrit le meilleur de lui-même avec Rock Springs, un recueil de nouvelles elles aussi intemporelles et ardentes…
Avoir connu le pire ne fait pas d’un individu un écrivain. Dans Orphelins, un essai sur l’écriture, voici ce que note l’Américain Charles D’Ambrosio, nouvelliste talentueux et rare, né en 1960, et fervent adepte du travail acharné à la Carver : « Il me semblait important que les phrases puissent convaincre par leur pouvoir. Pour moi, la langue même créait l’événement. » Le style Carver pourrait se résumer à cela. La langue seule donne le sens, l’émotion, la poésie (n’ayons pas peur !), un minimum de mots assemblés pile poil grâce à une « ponctuation-partition », notes noires ou blanches, points ou virgules, comme autant de silences… l’essence de la vie. Carver citant son prof John Gardner : « Il m’a fait voir aussi que dans une nouvelle tout comptait,...