David Foster Wallace, le carnaval des tristes
Quand on lui demande quelques indications biographiques sur son parcours, ce traducteur de Jack London, Larry Brown, Harry Crews, Will Self, Hubert Selby Jr, Jonathan Lethem… répond avec un humour modeste : « Ancien mauvais élève de l’ENS Saint-Cloud en philosophie, sorti sans poste d’enseignement, devenu traducteur par hasard en cherchant de petits boulots au début des années 1980, sous divers pseudos, puis traducteur à plein-temps ». C’est pourtant bien lui que L’Olivier a choisi pour traduire les mille pages d’Infinite Jest, et c’est peu de dire qu’il fallait là un traducteur expérimenté…
Francis Kerline, comment a eu lieu le passage de relais entre le Diable Vauvert (qui a publié la quasi-intégralité des textes de Wallace) et les éditions de L’Olivier ? Comment le texte vous est-il arrivé entre les mains ?
Je suppose qu’il y a eu des négociations, je n’en sais pas plus. Le texte m’est arrivé comme d’habitude. Un coup de fil de l’éditeur (en l’occurrence Nathalie Zberro, qui était en charge des traductions à l’époque). Elle me dit : « On a un truc énorme en projet, est-ce que tu accepterais de le faire ? ». C’était vers la rentrée 2011, il me semble. Sur le moment, je n’étais pas très chaud : un pavé pareil, c’est redoutable. Infinite Jest, c’est deux mille cinq cents feuillets, l’équivalent de quatre ou cinq romans de format habituel. C’est un tunnel, qui oblige à refuser toute autre proposition pendant longtemps. Et puis, il y a la lassitude. On peut devenir fou avec ce genre de boulot, et je le suis d’ailleurs devenu un peu. J’ai eu le texte sur ma table pendant plus de trois ans.
La traduction a été retardée au départ parce que Will Self voulait que je traduise Walking to Hollywood (Le Piéton de Hollywood, 2012). D’ailleurs, quand j’ai dit plus tard à Will que je ne pourrais pas traduire Umbrella (Parapluie, 2015) à cause d’Infinite Jest, qui semblait devoir me prendre deux fois plus de temps que prévu, il a tiqué mais il ne pouvait pas repousser indéfiniment la parution de son roman. C’est l’excellent Bernard Hœpffner qui m’a remplacé.
J’ai signé le contrat en septembre 2012, je crois. Si j’ai fini par accepter, c’est parce que la traduction est mon gagne-pain. Je prévoyais un an et demi de travail – c’est le délai qui figurait sur le contrat, mais Nathalie m’a dit : « Ne t’inquiète pas pour le délai, j’ai prévenu qu’il te faudrait au moins un an de plus. » Je n’y croyais pas. Elle avait raison : j’ai mis plus de deux ans et demi, à temps plein. Ceci étant, on m’a dit que la traduction allemande avait demandé six ans de travail…
Connaissiez-vous Wallace avant de vous voir confier la traduction d’Infinite Jest ?
Je ne le connaissais que de nom. J’avais Infinite Jest à la maison, mais je n’avais jamais commencé à le lire, le livre me faisait peur. Ma femme, qui est une grande connaisseuse de littérature américaine, l’avait acheté à sa sortie, mais elle ne l’avait jamais terminé. Elle...