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Théâtre Mange ton prochain

septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166 | par Patrick Gay Bellile

Quand l’imaginaire se met au service de l’Histoire. Un texte magnifique de George Tabori.

Doilà un texte drôle, cru, iconoclaste et percutant. Un texte qui joue subtilement avec les codes du théâtre et les modes de représentation, et jongle avec les mises en abyme. Un texte qui nous emmène à Auschwitz. Nous sommes dans le bloc numéro 6. Douze hommes vivent là. Et très vite, le lecteur comprend qu’il est en fait en présence des enfants de ceux qui ont péri dans ce baraquement. Nous sommes au théâtre et ces enfants tentent de rejouer la vie de leurs pères. De comprendre comment elle se déroulait. Ils sont en compagnie de deux survivants qui les conseillent parfois ou renseignent le public : « Il en restait douze d’entre nous dans le bloc 6, après Noël. Deux ont survécu. Heltai est fabricant de jouets. Je suis gynécologue à Yonkers. Je m’en sors bien, deux voitures, un barbecue haut de gamme dans le jardin. » Et cette petite troupe est emmenée par un personnage emblématique, l’Oncle, ancien acteur et probable image du père de l’auteur. Il en porte d’ailleurs le prénom : Cornélius.
Ce père, Cornélius Tabori, est mort à Auschwitz. La mère en est miraculeusement revenue et la pièce, écrite en 1968, tente de répondre aux questions qui nous sont posées depuis soixante-dix ans : à quoi sert-il d’être bon face à la volonté d’extermination ? Est-ce qu’une victime est forcément quelqu’un de bien ? Que peuvent les mots face à l’inexplicable horreur ? Mais le point de départ de toutes ces interrogations, la question vitale posée à ceux du bloc 6, leur obsession permanente, c’est : manger. Cette question traverse toute la pièce jusqu’à lui donner son titre : Les Cannibales.
Suite à une rixe provoquée par un petit morceau de pain, Bouffy, « un homme gros », meurt. Que faire ? Peut-on, doit-on le manger pour maintenir en vie le reste du groupe, ou bien faut-il rester digne et fidèle à une morale qui condamne le cannibalisme ? Malgré les efforts de l’Oncle et de ses nombreuses citations bibliques, Bouffy est découpé et mis à cuire dans une marmite. Et la préparation de ce futur repas va durer le temps de la représentation, tandis qu’autour de la marmite s’échangent des propos apparemment anodins : souvenirs de repas, blagues et recettes de cuisine. Mais ce qui pourrait donner lieu à une situation sordide est constamment éclairé par les procédés du théâtre. Jamais l’auteur ne nous permet d’oublier que nous sommes devant des acteurs qui jouent des personnages qui jouent à imaginer ce qu’a pu être la vie d’autres personnages dont ils sont les enfants. Si bien que tout est possible, tout est permis : Bouffy sort de la marmite dans laquelle il est en train de cuire pour apporter une précision au récit, les acteurs font en direct les bruitages pour récréer l’ambiance des scènes, ils peuvent jouer une mouche ou un objet pour les faire parler et nous livrer leurs impressions. À ce titre, le récit du Gitan avec Lang dans le rôle de la saucisse de foie est tout à fait réjouissant.
Et puisqu’il est impossible de recréer de manière réaliste la vie dans ce baraquement, alors l’imaginaire doit y suppléer. Jusqu’à l’invraisemblable. Jusqu’au délire. Ils tentent de revivre le voyage en train, les projets d’évasion, les rêves de retour à la maison, la peur des rafles. Et à la fin, huit d’entre eux, refusant de manger, partent, nus, à la douche, laissant les deux survivants converser et manger avec l’Ange de la Mort, le SS Schrekinger. Qui, tout en finissant tranquillement le contenu de la marmite, s’imagine répondre à la question de son fils : « Papa, qu’as-tu fait pendant la guerre ? ». Et la voix des Haut-Parleurs, après un rapide historique du cannibalisme, vient conclure la pièce de manière provocante : « Mais certains sauvages désirent ardemment le corps d’un homme assassiné / Afin que son esprit ne puisse pas les troubler, / Pour cette raison je recommande, frères en Christ, / Le cœur de Juif en gelée ou avec une sauce vinaigrette / Si tendre qu’il fond dans votre bouche. » Troublant et magnifique.

Patrick Gay-Bellile

Les Cannibales, de George Tabori
Traduit de l’anglais par Anita Jans
Éditions Théâtrales, 96 pages, 15

Mange ton prochain Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°166 , septembre 2015.