Nourrie de marivaudage philosophique, l’œuvre de Georges Picard semble s’être construite autour d’un projet : celui de refuser son propre figement. Aux vastes architectures des lettres, Georges Picard a préféré la liberté du pointillisme, le mouvement des humeurs et la discontinuité du verbe, en livrant année après année pensées et aphorismes, fantaisies narratives et traités moralistes à un public de fidèles. Le rendez-vous qu’il a accepté est fixé à deux pas de la librairie José Corti, qui accueille et publie depuis près de vingt ans ses textes. Méticuleux dans l’entretien, Georges Picard est de ceux pour qui l’ironie est une chose très sérieuse.
Georges Picard, vous aviez suggéré au téléphone que nous fassions plutôt cet entretien par échange de mails… Serait-ce que Penser comme on veut, le titre de votre nouvel ouvrage, n’évite pas de se heurter à une difficulté, celle de dire ?
Je suis quelqu’un de plutôt distrait : quand je parle spontanément, les idées annexes, les idées contradictoires m’attirent et me déconcentrent… J’ai une pensée très vagabonde à l’oral. Par écrit, évidemment, c’est plus facile à contrôler. Pour moi, comme je crois pour tous les écrivains, la formulation est aussi importante que le contenu. Trop souvent, une pensée spontanée, c’est une pensée qui n’est pas aboutie. Il suffit d’aller se balader sur Internet, ce cloaque verbal où chacun jette ses opinions sans les examiner, sans les peser, sans les formuler correctement. Cette spontanéité-là est désastreuse, elle produit surtout des inepties. La pensée justement sert à faire le tri. Valery dit que l’esprit saute de sottise en sottise comme l’oiseau de branche en branche… 90% de nos pensées spontanées, des miennes en tout cas, sont inabouties. Ce n’est que par le travail de l’écriture, en travaillant, en dosant, que j’arrive à exprimer enfin ce qui me satisfait. J’ai des sujets de prédilection un peu casse-gueule. Certains de mes livres traitent de la connerie, de l’ivresse, de la folie. Mais je ne veux pas parler « connement » sur la connerie, « follement » sur la folie, ou sur l’ivresse avec un whisky à la main. Il s’agit d’abord de maîtriser mon écriture, au millimètre, à travers un travail très précis qui doit aboutir exactement à exprimer la pensée que j’ai envie d’exprimer, ce que je ne peux pas faire oralement dans une interview.
Pourtant, dans Penser comme on veut, on trouve souvent un éloge de la pensée vagabonde, gratuite, non sélective ou hiérarchisée, « à sauts et à gambades » comme dirait Montaigne, ou comme ce que dit le Neveu de Rameau : « mes pensées, ce sont mes catins ». N’est-ce pas l’inverse de cette liberté sous contrôle qu’est l’écriture ?
La spontanéité, ce n’est pas la liberté, celle que l’on assume. Le Neveu de Rameau s’amuse avec les idées. Il fait l’éloge de la mobilité. Il ne refuse pas les contradictions. J’aime cette vivacité et cette liberté-là que je veux retrouver dans l’écriture. C’est primordial....
Entretiens Penser avec Picard
février 2014 | Le Matricule des Anges n°150
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un livre