Voici réunies en un recueil deux méditations d’un auteur qui n’écrit « que sur papier, n’utilisant jamais la machine (le média), ordinateur ou même machine à écrire. » Selon la définition du Robert, le dit est « une petite pièce traitant d’un sujet familier », genre littéraire remontant à la période médiévale. Tout en nous relatant ses difficultés avec l’écriture, Jacques Roman fait ici l’éloge de ce geste brouillon, de cette « manie » qui le pousse à saturer la page blanche de biffures. L’activité d’écrire se confond alors avec le geste de raturer par lequel « a lieu la gestation de l’écriture ». Exact équivalent de l’acte d’écrire, la rature procède de la même énergie que celle qui donne naissance à l’écriture. Si le premier dit nous en conte les écueils, le second nous en dévoile la part de déraison. Voilà la faille, la lézarde, « plaie », « crevasse », par quoi nommer le fait d’écrire. Nous invitant à en suivre les bords, l’auteur guette alors les métaphores que sa contemplation lui suggère. Portrait énamouré de la lézarde : sa beauté « accidentée » ouvre à une connaissance de soi, rappelant, selon l’expression de Henri Michaux, les gouffres par lesquels il faut en passer. La lézarde « que la violence a fait naître garde de la violence la mémoire ». Au fil du texte, la lézarde s’affirme « blessure ». Sentencieuse la parole de Jacques Roman tend à plus de gravité qu’elle ne le suggérait en premier lieu. La lézarde personnifiée devient allégorie. « La lézarde est vêtue comme une folle. » On pense alors à la gravure d’Albrecht Dürer, intitulée La Mélancolie, représentant sous les traits d’une femme méditant à son pupitre, l’air sombre et inquiet, cette humeur noire par laquelle se nommait la folie.
Emmanuelle Rodrigues
Le Dit du raturé / le dit du lézardé
Jacques Roman
Éditions Isabelle Sauvage, 64 pages, 15 €
Poésie Le Dit du rature / le dit du lezarde
janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149
| par
Emmanuelle Rodrigues
Un livre
Le Matricule des Anges n°149
, janvier 2014.