À ce petit jeu-là, les écrivains ne sont pas égaux devant la feuille blanche, les meilleurs d’entre eux même pas gagnants d’avance. Écrire une nouvelle reste un art mystérieux, un truc ténu, du style mine de rien, délicat et fragile, et qui, sans prévenir, cingle comme une grande baffe, laissant le lecteur désarçonné, à savoir à la fois ravi et transi. Le français (et bordelais) Jean Forton (1930-1982) excellait dans le genre court, petites histoires « sans un mot en moins, sans un mot en trop » ainsi que devisait le très british W. Somerset Maugham finaud en la matière. Étrangement, à lire ou relire les nouvelles de Forton aujourd’hui réunies dans un seul et gracieux volume*, on se voit propulser vers les Amériques, du côté de chez Richard Brautigan et Raymond Carver. Même regard acide sur le monde alentour, même proximité avec les personnages mis en scène (vus d’à côté, ni d’en haut ni d’en bas), même langue entre cruauté et douceur, entre grivoiserie et mélancolie. Ces gens-là épinglent des tranches de vies, les retournent comme une guenille, décortiquent apparences, hypocrisies et tutti quanti. Jamais, ils n’hésitent, et c’est là tout leur miel, à distiller quelques méchancetés… sans tomber dans le mépris, la haine.
Chez Forton, les gosses ont perdu l’innocence, les adultes baissent la tête, chacun subit les coups du sort, chacun se démène avec le peu d’espérance posée à portée de main par on se sait quel diable. De diableries, l’existence se targue généreusement de n’oublier personne. Encore faut-il comme Forton le désenchanté avoir ce talent de manier l’ironie avec subtilité. Ainsi commence-t-il une histoire avec un ton badin : « J’avais un copain épatant, Alexandre, que je ne voyais qu’aux vacances. Malgré son prénom prétentieux, c’était un brave garçon sans façons. » Il narre les frasques terrifiantes des deux sauvageons et termine le récit par des mots déchirants. Comme de grands cris du cœur lancés d’outre-tombe.
Martine Laval
* Toutes les nouvelles est constitué des nouvelles publiées dans Pour passer le temps (Finitude, 2002) et Jours de chaleur (Finitude, 2003), auxquelles ont été ajoutés trois inédits.
Toutes les nouvelles,
de Jean Forton
Finitude, 272 pages, 21 €
Histoire littéraire Toutes les nouvelles
octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147
| par
Martine Laval
Un livre
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°147
, octobre 2013.