L’écriture de Lorna Goodison est de celle que l’on peut qualifier de magique. Ses origines jamaïcaines peuvent sans doute expliquer la forte dose de musicalité qui s’accorde avec des tonalités chaleureuses et colorées. Avec Sous l’emprise de l’amour, elle nous propose un recueil de nouvelles pleines de vitalité et de poésie. Elle y décrit des situations banales de la vie quotidienne, dressant des portraits, surtout de femmes, mais qui se ressemblent toutes par leur même aspiration au bonheur. Mais cette aspiration est toujours amèrement déçue. Il est vrai que ce n’est pas spécifique à la Jamaïque. Mais ces espoirs que toute relation amoureuse fait naître semblent y prendre une tout autre dimension qu’ailleurs. Et les déconvenues sont elles aussi démesurées. Lorna Goodison traduit avec une grande sensibilité tout l’impact douloureux de ces échecs amoureux qui en deviennent même pathétiques comme s’il y avait une injustice fondamentale à ce que ces femmes si sensibles et attachantes subissent tant de déboires venant aggraver pour elles la dure réalité sociale de l’île.
La blessure amoureuse est effectivement complexe, mélange de colère, de chagrin et d’humiliation. Quand Nathan revient au pays, il retrouve son ancienne camarade d’école qui fut son premier amour, à laquelle il avait promis le mariage. Mais il s’est marié en Angleterre et a le culot de lui proposer de devenir sa maîtresse. « Elle va systématiquement effacer toute image, toute trace de Nathan ». Dottie croyait qu’elle allait rester « vieille fille ». Elle s’émerveille chaque jour de vivre avec Frenchie, « un si bel homme peut-être l’homme le plus beau de la Jamaïque ». Alors elle gâte son Frenchie. Mais leur histoire va très mal se terminer et Dottie sera inconsolable. Une jeune fille réputée très sage tombe éperdument amoureuse d’un garçon qui abusera d’elle et la ridiculisera devant ses copains qui se moquent maintenant d’elle : « j’ai entendu dire que tu coûtes un shilling ». On l’a surnommée Shilling et elle se sent salie à jamais. Chacune des femmes décrites par Lorna Goodison a un sens très aigu de sa dignité et de sa fierté. Sylvie vient de la campagne. Elle vit avec Georges et elle attend un bébé. Georges est injustement arrêté par la police Elle va à l’église, espérant un peu de soutien. Elle y entend un sermon incitant à s’aider soi-même avant de solliciter l’aide de Dieu. Elle pense à sa petite église de campagne. « Elle s’était éloignée d’un pas décidé de la charité accordée à contrecœur ».
Lorna Goodison tente de dépasser cette amertume. Quelques récits ont une orientation plus poétique, presque féerique, mettant en scène des enfants. Henry est un jeune garçon plutôt mélancolique. Il voudrait que tout ressemble aux roses qu’il vend, alors il en avale une, en espérant qu’elle « soit en train de faire racine dans sa vie ». Il y a aussi Rose, petite handicapée, « Rose la toc toc, lève ta robe ». Elle aime les animaux et semble les comprendre. Elle serait protégée par Saint François d’Assise. « Tout le monde a commencé à faire grand cas de Rose et à lui apporter chiens et chats pour qu’elle les bénisse ».
Si nous sommes constamment meurtris par cet écart entre nos rêves et la réalité, il faut peut-être aller au-delà, car le merveilleux est peut-être à notre portée. C’est ainsi que conclut la dernière nouvelle : « Je m’en suis sortie ». Une célèbre chanteuse s’entretient avec une journaliste. Dans un rêve elle a vu « une voie se dégager au milieu des ordures ». Elle parle aussi de Bob Marley et elle confie : « une nouvelle façon de chanter et d’être dans le monde que vous entendez et voyez en moi maintenant a tout simplement commencé à se déverser de moi comme une cascade ».
Yves Le Gall
Sous l’emprise de l’amour
Lorna Goodison
Traduit de l’anglais par Christine Raguet
Zoé, 285 pages, 20 €
Domaine étranger Is this love ?
juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145
| par
Yves Le Gall
Éclairant d’une belle lumière sa Jamaïque, Lorna Goodison offre vingt-deux nouvelles dédiées au thème de l’amour malheureux.
Un livre
Is this love ?
Par
Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°145
, juillet 2013.