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Domaine étranger Leçons de choses

janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139 | par Thierry Guinhut

Théorie et critique romanesque de l’amour et du mariage, par l’écrivain américain Jeffrey Eugenides.

Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. C’est ainsi que le conte traçait un avenir de bonheur. On se doute que le roman du XXIe siècle sera bien plus dubitatif. Les chausse-trapes de l’amour et du couple prennent en effet chez Jeffrey Eugenides une tournure critique.
Dans le cadre du college novel, ce genre romanesque typiquement américain, des étudiants d’université croisent leurs jeunes destinées. L’une, Madeleine, est passionnée par les romancières victoriennes, l’autre, Mitchell, étudie la théologie, enfin Leonard se veut biologiste. Ils se rencontrent lors de cours de littérature, découvrant alors les essayistes et philosophes français à la mode. Un étudiant témoigne d’un air docte et pince sans rire que la lecture de La Grammatologie de Derrida a « bouleversé sa vie ». Ce qui nous vaut une petite tranche de satire enlevée de la vogue de la « french theory », lorsque l’enseignement des sciences humaines est soumis à la déferlante de la sémiologie et du structuralisme : « Ils voulaient que le livre, cet objet transcendantal, fruit de tant d’efforts, soit un texte, libre de toute attache, indéterminé, ouvert aux interprétations ». Pourtant, lors de ses déboires et larmes, Madeleine relit avec auto-apitoiement et mélancolique délectation les Fragments d’un discours amoureux, seul ouvrage qui, au-delà de l’ironie du narrateur, paraît garder sa fraîcheur : « Elle pouvait lire Barthes déconstruisant l’amour à longueur de journée sans sentir la moindre atténuation de celui qu’elle portait à Leonard ». Le Roman du mariage sera remplacé par un « kit de survie de la petite célibataire », passablement coquin, mais guère exaltant…
Nous sommes ici aux croisements d’un trio sentimental et sexuel. Séducteur, doué d’un charisme certain, Leonard est nanti d’une face sombre, comme un Docteur Jekyll et M. Hyde (titre qu’aurait dû ne pas oublier Madeleine) lorsqu’il est balayé par des accès de dépression. C’est lui qu’elle aimera, quoiqu’à ses dépens, quand Mitchell, l’étudiant doué d’un inattaquable sérieux, ne trouvera, pour alimenter sa passion, que l’ersatz de l’amitié. Et pendant que Leonard plongera dans l’enfer de l’hôpital psychiatrique et du « lithium » (ce qui nous vaut quelques pages encyclopédiques pour que le roman puisse faire concurrence au réel) c’est en un miroir inversé que Mitchell ira voyager en Europe et en Inde, jusqu’aux côtés de Mère Teresa et de ses mourants…
On imagine sans peine que l’auteur de Virgin suicides et de Middlesex (cette épopée de l’hermaphrodisme contrarié) ne conduira guère les aspirations matrimoniales opposées de Madeleine et Mitchell au happy end postulé par leurs cœurs et leurs fantasmes. De même, l’éphémère mariage de la jeune femme avec Leonard sera la trop réaliste éducation sentimentale contrariant sa passion intellectuelle pourtant intacte pour les romans de Jane Austen et de George Eliot. Étudier la question du mariage dans les récits anglais du XIXe ne protège visiblement pas des illusions et des inconvénients de la chose, « même si Madeleine se sentait en sécurité avec un roman du XIXe siècle », malgré toutes les qualités humaines de l’héroïne. En ce sens, le livre d’Eugenides navigue parmi deux plans complémentaires, romanesque d’une part et sociologie et psychiatrie d’autre part, dont l’un est la critique de l’autre, ce qui contribue à sa réussite, malgré quelques longueurs lors des épisodes « maniaco-dépressifs » de Leonard.
Dressant un tableau des mœurs estudiantines, entrant alternativement dans les profondeurs des cerveaux de ses personnages, Eugenides fait montre d’une maîtrise indubitable des ressorts de la narration et de la psychologie. Entre péripéties renouvelées dignes de la tradition littéraire, et métalittérature, à la lisière de l’humour et du tragique, il figure les traits d’une génération enthousiaste et cependant vite désenchantée ; la nôtre peut-être…

Thierry Guinhut

Le Roman du mariage
Jeffrey Eugenides
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier
Deparis, L’Olivier, 560 pages, 24

Leçons de choses Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°139 , janvier 2013.
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