À catalogue insolite, bureaux insolites. Ceux des éditions du Sandre, minuscules, sont aménagés dans un ancien salon de massages thaïlandais reconverti depuis cet été en librairie d’occasion, joliment dotée, au nord du 18e arrondissement parisien. « C’est stimulant », dit notre hôte qui réinvente l’auto-mécénat, entouré de ses deux amis, Nicolas Millet et Thomas Feixa. « Notre ambition est que les revenus de la librairie permettent l’autonomie de la maison d’édition. » On le leur souhaite.
Guillaume Zorgbibe, 30 ans, est un garçon brillant, qui ne manque ni d’idées ni d’audace. Parcours classique : lycée Henri IV, hypokhâgne, études de philo. Ensuite volontaire à l’Arche, une communauté de « bab’ cathos » qui s’occupe d’handicapés mentaux. « J‘étais très croyant. Je pensais devenir moine. Puis j’ai perdu la foi. » Il enseigne alors la philosophie dans une école d’ingénieurs quand il crée en 2002 les éditions du Sandre. À son actif : un stage au Seuil pour « regarder et apprendre », un vieil oncle « ex-journaliste à France Soir et éditeur de porno », et une solide culture livresque. En dix ans, la marque au poisson carnassier aura édité une centaine d’ouvrages, peu soucieux de l’air du temps, vadrouillant avec avidité dans les eaux de l’héritage classique et de la pensée fin-de-siècle. Faut-il être déraisonnable pour devenir éditeur ? Oui, la preuve. Guillaume Zorgbibe publie d’imposants volumes d’œuvres complètes (Nicolas Chamfort, Charles Cros, Xavier de Maistre, le théâtre de Byron), des correspondances (Rubens, de Gourmont, Thoreau/Emerson), une myriade d’écrivains oubliés (Jules de Gaultier, Ernest Hello, Georges Palante) et « parfois invendables ». Comme le seront les fac-similés de quelques introuvables du monde ouvrier de la collection « La Bibliothèque rouge », aujourd’hui défunte. Mêlant érudition et curiosités, fantaisie et libre-pensée, privilégiant des figures du retrait, le catalogue du Sandre penche vers le dandysme, le romantisme, les fous littéraires, l’utopie libertaire. Comme autant de marqueurs pour sonder notre époque.
Guillaume Zorgbibe, dans quelles conditions, et devant quel constat, se sont créées les éditions du Sandre ?
Avec un mélange d’autisme et d’enthousiasme (sourire). Comme beaucoup d’autres éditeurs, au début des années 2000, j’avais l’impression que tout était à faire. Tout ce qui m’intéressait manquait : Les Dieux antiques de Mallarmé, la Correspondance de Rubens, les Œuvres complètes de Chamfort. Même certains textes de Nerval étaient devenus indisponibles. Il fallait rééditer ces textes fondamentaux qui ont marqué l’histoire d’une façon ou d’une autre.
Je dois beaucoup à la librairie L’Écume des pages à Paris. Il y existait un vrai foisonnement. C’est là que j’ai rencontré Benoît Virot (Attila), David Vincent (L’Arbre vengeur), Benoît Laudier (Vagabonde), Jacques Goursault (Sillage), Valérie Millet (Le Sonneur). Pour cette micro-génération d’éditeurs, L’Écume des pages fut...
Éditeur Eaux de jouvence
novembre 2011 | Le Matricule des Anges n°128
| par
Philippe Savary
Traversé par les courants romantiques, symbolistes et libertaires, le catalogue des éditions du Sandre insuffle une nouvelle vie à des œuvres fortes, épuisées ou méconnues.
Un éditeur