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Choses vues Tour et détour

mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121 | par Dominique Fabre

Avec mon copain Gil sans le faire exprès des antennes ont dû nous pousser quand on était voisins de table et de lit au collège des curés, à 14 ans. Ça fait donc une petite éternité que l’un appelle lorsque l’autre pense à le faire et la dernière fois, on était synchrones à la minute près ! Comme quoi j’avais bien raison de m’inquiéter. Dans sa cambrousse du sud-ouest le dernier jour de son contrat de travail à durée déterminée, il a glissé à 8h30 précises sur une plaque de verglas, sa bagnole a fait trois tonneaux, et il n’arrive pas à comprendre comment il a atterri indemne dans le champ en contrebas. La route bien droite. Le soleil. Une seule plaque de verglas. Le dernier jour du CDD ! Ben t’aurais dû sécher le dernier jour, je lui ai fait remarquer. Ben non, Dominique, t’es ouf ou quoi ? On peut jamais sécher le dernier jour ! Ah oui, t’as raison, on peut pas. Bref, il n’en est pas revenu de ses tonneaux sans une égratignure, ç’aurait dû être son dernier jour. Est-ce qu’il doit s’inquiéter ou au contraire se réjouir ? Et puis, bien sûr, il n’a plus de boulot. Mais bon, c’est pas la Libye hein, il m’a dit (!). Non mais putain t’as vu là-bas ? Ben oui, j’ai vu. On va encore réfléchir chacun de son côté au sens caché que ça pourrait avoir ces accidents sans dernier jour à trois tonneaux. Parfois, on aurait vraiment besoin de quelqu’un pour vous expliquer ces choses-là.

Gil fait des tableaux, il fabrique des objets d’art avec des trucs de recyclage, des machins en bout de course et peut-être aujourd’hui, les morceaux d’une voiture toute ratatinée. Il donne une seconde vie aux choses. On a toujours besoin d‘une seconde vie. Lui, pour la suite ? Bah… Il verra bien plus tard. En attendant, avant de raccrocher, il m’engueule encore un peu parce que bien qu’en vacances je ne vais pas le voir dans sa campagne reculée, (plus loin de la porte d’Ivry que sa cambrousse à 40 bornes de Carcassonne en transports en commun je connais pas !), là où il va devoir vivre quelque temps sans voiture (il a plié sa moto l’année d’avant). Cet été ? Oui, pourquoi pas.

Je ne sais vraiment pas pourquoi je me suis encore retrouvé à Notre-Dame de Chine ? Dieu a une super cote chez les chrétiens d’Asie ou Africains dans mon quartier. Les gens de l’Est sont toujours enthousiastes, car oui, un jour, il va ressusciter ! On a aussi les témoins de Jehovah dans le coin, et une mosquée très fréquentée dans le sous-sol du Foyer des Travailleurs Migrants sur le boulevard des Maréchaux. Je suis arrivé vers la fin de l’office. Quand on arrive vers la fin Dieu est vivant, à la fin en fait tout le monde sera revivant ! Après la messe les gens sont restés boire un thé dans un coin de la nef, les enfants ont offert des fraises Tagada. Je n’ai pas voulu m’attarder évidemment. Je n’avais même pas prié pour mon copain Gil, ni pour le petit garçon que je connais et a enfin reçu sa greffe du foie (il a 11 ans), ni pour ma copine Anita qui se traîne le même cancer depuis bientôt cinq ans. J’ai regardé le genre de livre d’or juste à l’entrée, où les gens écrivent un message à Dieu. (On peut tout faire dans mon quartier de la porte d’Ivry, y compris adresser des messages à Dieu.) J’ai lu des messages dans des langues que j’ignore, des africaines, des asiatiques, pour des malades à guérir, et des remerciements pour le bonheur, la liberté, pour Patrice, pour Soraya, pour Ahmad et Frédérique. J’aurais pu rajouter les prénoms de Gil, d’Anita, et celui du petit gars ? J’en aurais eu trop à écrire en fait, pas que pour des remerciements. Alors je suis sorti tout seul avec ma fraise Tagada. En vrai je ne sais plus faire de prières. N’empêche qu’Il devrait se faire du mouron en lisant le livre d’or de Notre-Dame de Chine ? Après, j’ai marché pour rien vers le boulevard Massena, dans les récents confettis des défilés du nouvel an, il y a deux semaines de ça. Temps bien pourri, boucan de pétards et souhaits de prospérité, santé, chance aux jeux et en amour, patati boum et youplàlà.

Bergame est une des tours au début de l’avenue de Choisy. Je ne sais pas pourquoi c’est celle que je préfère ? Ça bourdonne fort alentour et quand on rentre, d’un seul coup ça coupe le son. Elle est très calme à l’intérieur, comme un gros bateau à quai, (où ça ?) ou un vieil animal dont le cœur bat toujours, (mais là encore, où ça ?) On entend le bruit du vent en tendant l’oreille dans les cages d’escalier. Monsieur Kim habite dans un studio du 17e étage. Parfois, à regarder vers le dehors on a l’impression que le vent va gagner la partie, mais en fait, la haute tour peut remuer imperceptiblement, tout restera en place par ici. Les gens ont beaucoup de chance de vivre dans cette tour, où tout le monde est très gentil, m’a expliqué monsieur Kim. Je me suis demandé son âge ? D’accord, les charges sont trop élevées, et puis on ne connaît pas bien ses voisins. Il faut peut-être trois ans pour bien connaître un voisin qui resterait trois ans en ayant le même souhait, selon lui. Monsieur Kim connaît les Cambodgiens des trente étages. Il est arrivé en bateau, personne ne peut savoir ce que c’est bien ici, pour un Cambodgien qui a connu le régime Khmer. Puis il m’a congédié. Sa famille lui rendait visite, il devait tout préparer, il ne les voyait pas souvent. On se recroisera peut-être dans le quartier ? Je suis resté un long moment dans son couloir. On est au cœur de quelque chose, en haut, près du studio de monsieur Kim. C’est sûr, seulement, au cœur de quoi ? Je me sentais nulle part et partout à la fois. En rentrant par la Halle Carpentier, sur un bâtiment Edf, une grande Mary Poppins peinte en noir et blanc avait son parapluie en torche à cause du vent. Je nous ai regardés, nous marchons tous vraiment dans le même sens, dans ce grand vent. Il m’a poussé jusqu’à la rue du Château des Rentiers, où j’avais hâte de vous parler de monsieur Kim, des tonneaux de mon copain Gil, et du grand cœur qui bat dans cette tour-là, près de chez moi.

Tour et détour Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°121 , mars 2011.
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