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Choses vues Il est bien le nouveau ?

juin 2012 | Le Matricule des Anges n°134 | par Dominique Fabre

Quand même, on aura attendu bien longtemps qu’il se passe quelque chose. Dans mon quartier les gens n’ont pas manifesté une très grande joie aux élections. Ils sont bien loin de tous voter, en fait. N’empêche, est-ce que j’ai rêvé ou bien certains étaient plus souriants ? Bien sûr, la plupart des habitants du Château des Rentiers n’attendent aucune amélioration nette de leur situation. Mon voisin le jardinier a remis ses vieilles tennis car ses neuves s’abîmaient trop vite, avec toute cette pluie qu’on a. Ses yeux si bleus, est-ce que je vous en ai déjà parlé, sans trop me souvenir, sans me rendre compte ? J’ai l’impression qu’il n’y a que vous, et moi, pour demander de ses nouvelles. On s’attache lentement aux inconnus, mais très fort, on se détache lentement aussi des gens qu’on a aimés et qu’on a bien connus, ou alors trop, je ne sais pas. Sa rhubarbe me fait envie, s’il daignait seulement la couper ! Mais pas moyen. Il aime bien la voir pousser, ensuite elle crève et ça lui va bien comme ça. Il offre ses roses aux passantes. Au café Pourpre les jours suivants les clients étaient d’avis qu’on allait continuer à bien se faire fucker, pour parler comme le cadre iphone de la boîte à côté à sa collègue, une jeune Anglaise qui s’exprime elle aussi comme un charretier dans les deux langues, peut-être sous son influence ? Ils boivent quelques verres le soir. Ils ne sont pas amants, je crois. Quand elle rentre chez elle avec ses dossiers dans le I5e, le vendredi, elle chaloupe presque autant que lui. Une fois ou deux un taxi les attendait.
Gérard mon pote gardien de nuit de la grande société d’ordis pour je ne sais quoi faire au juste a haussé ses maigres épaules, il se rappelait mieux de 1981 où il était encore vingtagénaire, pour dire comme lui. Il n’en a trop rien à cirer de la politique : il est beaucoup trop pressé. Vu son état de santé et ses deux paquets par jour il a énormément de rattrapage à faire sur l’état du monde et de la culture avant de partir, ce quinquennat ou le suivant (il préférerait le suivant). Du coup le soir par la grande baie vitrée, je l’aperçois qui ouvre sur son ordi des biographies Wikipedia des écrivains qu’il n’aura pas le temps de lire, ou de relire. (Il lit beaucoup depuis moins de dix ans). Jeudi dernier c’était Flaubert, je revenais de chez des amis et j’étais un peu saoul quand j’ai cogné à sa vitre. Bon. Gérard plisse les yeux, me fait signe de patienter, il passe sa veste, vérifie le col de sa chemise et le tomber de son pantalon gris perle. Met son imper. Débranche l’alarme extérieure pour sortir. Salut Gérard ! Ouais, qu’est-ce que t’as ? Rien. Rien quoi ? Il m’a écouté. Il avait du mal à suivre et d’ailleurs moi aussi. Mais pourquoi tu lis la biographie de Gustave sur Wikipedia alors qu’en un quart de temps, tu peux t’avaler les Trois contes ! Gérard s’est assis sur la première marche, avec sa clope aux lèvres. Moi aussi. Et tu m’as fait sortir pour me dire ça ? T’as bu quoi ? Puis, de bout en bout, il m’a raconté d’autres épisodes de sa vie, enfant placé, ouvrier dans le bâtiment, aux crochets d’une vieille, cours du soir, Vrp, chômage, divorce, une histoire d’orphelin d’un bout à l’autre, jusqu’à la victoire de Hollande et sa moche maladie. On a passé une bonne heure tous les deux. Il est rentré parce qu’il avait un peu froid et qu’il n’est pas payé à surveiller les courants d’air. Tu repasses ? Je le lirai ton Flaubert, si y a que ça pour te faire plaisir ! Gérard je crois qu’il est content qu’on le dérange, de temps en temps.
Ce soir-là à la Bastille, on ne pouvait pas avancer comme on voulait. Une rangée de Crs barrait le faubourg Saint-Antoine et nous la foule étions coincés sur les trottoirs de chaque côté. C’était pas la grosse fête, mais les gens étaient contents. Les seuls qui s’amusaient bien de ce côté-ci du faubourg c’étaient les chauffeurs de voitures avec des drapeaux algériens et français par les vitres, ils remontaient vers la Nation en poussant des youyous. Vive la France et l’Algérie ! Les grands écrans. La brigade des bisous, la grappe des petits jeunes autour de la colonne de la Bastille. La prochaine victoire de la gauche, s’il faut attendre encore trente ans, je ne la verrai sans doute pas, ou alors à la télé. Infirmière, c’est quoi cette manifestation ? Pépé, arrête de mater ma poitrine, c’est le nouveau gouvernement ! Ils sont de gauche, on a gagné ! On a un grandiose avenir ! Infirmière, pour la gauche, pour l’avenir, un bisou ! Ah non pépé, pas question ! J’ai croisé des anciens élèves, des copains, des collègues. On était très nombreux, on s’est congratulés, les sms ne passaient pas. Où se trouvait la presque moitié des gens qui n’ont pas voté pour lui ? Il y avait la pluie sur tout cela. Ma sœur au téléphone m’a demandé s’il était bien le nouveau ? Il peut pas être pire, j’ai dit. Tu crois ? Elle fait partie des déçus d’Obama, aux États-Unis. Bon. Qu’est-ce qu’il y a de bien en France, en ce moment, au cinéma ?
Ces temps-ci je vais souvent me balader en face, à Ivry. C’est une commune grise et sympa, où les gens sont contents d’habiter. Les petites baraques moches et de guingois cachées sur la colline et coincées par le périph, et plus loin, le grand Ivry, avec rien de remarquable, sinon des magasins de fringues pas chers. Du côté du port d’Ivry, la dernière fois, je marchais le long d’un mur avec derrière des entrepôts numérotés et des gros tas de sables différents. Un seul vieil immeuble d’habitation, tout gris. Une petite fille et son frère nettoyaient à l’éponge le mur autour de l’entrée. Ils faisaient des beaux dessins exprès pour sauver leur maison. Viens voir ! On est allé vers le coin de l’immeuble où, sous un grand soleil avec des petits cœurs dedans, il y avait un gros poisson chargé sur une voiture. Le requin du toit c’était le bateau-bouée. Est-ce que j’étais déjà allé à la Méditerranée ? Leur mère est sortie nous rejoindre. Elle était inquiète de ne plus les voir. Ils sont rentrés chez eux en lui tenant la main.

Il est bien le nouveau ? Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°134 , juin 2012.