Né en 1968 d’un père poissonnier et d’une mère vendeuse, Arnaud Blanco éprouve la plus grande difficulté à consacrer ne serait-ce que quelques heures à sa fille. Entre son cabinet médical, les consultations externes et les permanences de nuit, à peine trouve-t-il le temps de répondre au téléphone, d’ouvrir son courier. Refaire sa vie sentimentale, moins encore. Écrivain inassignable et médecin généraliste, Fred Léal plante son principal protagoniste au cœur de friches urbaines où vivotent d’improbables paumés. Ceux-là mêmes qui sont sans-le-sou, sans domicile, qu’Ordre des médecins et Code de la santé publique méprisent.
Descente au chevet de bric et de broc d’une humanité souffreteuse, Délaissé procède, contrairement à ce que son titre laisse sous-entendre, du refus de l’abandon. Parce qu’il faut « se frotter au réel, à ses douleurs, pour affiner sa vision et ne pas se baser sur des convictions de laboratoire », Arnaud Blanco parcourt les rues bordelaises, arpente une ex-caserne, soit pour soigner là un travelo brésilien, une prostituée albanaise, là un mythomane.
Délaissé gravite autour d’un axe central : un quartier désaffecté de Bordeaux. Le choix de ce lieu a-t-il été déterminant dans l’amorce de l’écriture de ce nouveau roman ?
L’histoire de départ était en effet quasiment là, puisque le quartier que je décris est un quartier où j’ai vécu enfant mais où, a contrario de mon narrateur, je n’ai jamais travaillé. Installé mon personnagequai de Brazza a suffi à alimenter mon imaginaire. Chez nous, on appelait ce quartier le Beyrouth bordelais, parce qu’il était constitué de bâtiments industriels qui s’effondraient. Des gens squattaient : des immigrés en situation irrégulière, des S.D.F, etc.
Quel lien établiriez-vous entre la description de ce quartier et les passages où votre narrateur évoque ses voyages de jeunesse en Pologne et à Sarajevo ?
On m’a reproché le fait que je parle de ça… Et il m’est difficile de préciser les liens entre ces voyages initiatiques et le récit. Disons que j’ai trouvé intéressant de rapprocher toutes ces zones franches. Certains voyages ont existé (Belfast, Gdansk), d’autres non (Sarajevo). Mais qu’importe, puisqu’ils fusionnent ici dans mon Beyrouth métaphorique. C’est comme un écho.
« Ce livre s’inspire de faits réels qui n’ont pas eu lieu. » : appliqueriez-vous cet énoncé en exergue de Let’s let’s go (P.O.L, 2005) à Délaissé ?
Entre Let’s let’s go et Délaissé, je ne fais pas beaucoup de différence. Le réel, c’est la vérité impossible du roman. J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi j’aimais ce genre peu noble. Le roman est un espace de création athéorique qui fait appel à une certaine forme d’idiotie salutaire. Nos hétérotopies y rencontrent une vérité qui ne rejoint absolument pas celle de l’autofiction. J’ai du mal à me dire aujourd’hui qu’une écriture vraie serait une écriture qui soit le compte-rendu de la réalité. Mais le philosophe Jacques...
Entretiens Vies sur ordonnance
janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119
| par
Jérôme Goude
Roman sombre et cocasse, Délaissé de Fred Léal plonge tête baissée dans le quotidien périlleux d’un médecin à l’humeur vagabonde et mélancolique.
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