Après la parution en 2006 d’une monographie exhaustive, Frédérice-Yves Jeannet. Rencontre avec Robert Guyon, Argol, dont on tient d’emblée à saluer l’engagement éditorial, fait d’une pierre deux coups en publiant Osselets et en proposant une nouvelle édition de Cyclone (Le Castor Astral, 1997). Papyrophages et « lecteurs intrépides » ne sauraient résister longtemps au désir de ce qui s’apparente à un fol embarquement. De Mexico à Hô-Chi-Minh-Ville, en passant par New York, Vancouver, Wellington, Buenos Aires et d’innombrables autres cités, Frédéric-Yves Jeannet nous invite à un voyage hors du commun, sans amarres. Une éprouvante et non moins irrésistible odyssée littéraire entamée fin des années 70 par la publication dans la NRF d’un fragment de la première version de ce qui s’intitulait déjà « Cyclone ».
Autoportrait cubiste ou, selon l’auteur lui-même, à la façon d’un Francis Bacon, Osselets relance les dés d’une écriture travaillée par la confluence des souvenirs prégnants de Denis Jampen, frère d’âme et d’exil, et de la jeunesse indochinoise de Jules-Félix, grand-père paternel. À travers maints instantanés de lieux parcourus (rues et temples de Bangkok et d’Hô-Chi-Minh), ce livre-tombeau prolonge en quelque sorte le déchiffrage biographique inauguré par Cyclone.
Cyclone : livre-somme, baroque et spéléologique, dont chaque motif, chaque strate, concourent à l’édifice d’une mémoire oblitérée par la mort du père. Quelque part entre La Préparation du roman de Roland Barthes et L’Usage du monde de Nicolas Bouvier, Frédéric-Yves Jeannet, flanqué de ses doubles réels ou fictifs (tel Jacob Orfeo), bâtit une œuvre que seule la recherche d’une insaisissable vérité gouverne. Une vérité où affleure cette « voix de fin silence qui nous conduit au seuil de l’expression, de la liberté ».
Osselets est au départ le fruit d’une commande. Comment, vous dont l’écriture requiert du temps, avez-vous composé avec cet impératif ?
Vous avez raison, j’ai toujours besoin d’un délai assez long pour mener un projet à son terme, car il faut que je lui laisse le temps de germer, de fermenter ou de cuire. Je n’ai jamais aimé les débits de fast food, je suis partisan de la slow food, de la cuisine traditionnelle. En 2001 ou 2002, une amie m’avait demandé, pour une collection d’autoportraits qu’elle venait de créer, d’écrire le mien. J’ai longtemps hésité, ne pensais pas y parvenir. Puis je lui ai dit : « d’accord, mais pas avant 2007. » J’ai mis plusieurs années à m’y mettre vraiment, et au bout du compte cette commande n’a pas pu se réaliser sous la forme convenue, mais ce projet initial a continué de proliférer, comme c’est souvent le cas pour mes textes, et j’ai donc dépassé largement le cadre de ce qu’on m’avait demandé et le délai que j’avais moi-même fixé, ce qui n’avait d’ailleurs plus d’importance, le livre ayant pris un autre cours. J’ai cependant choisi de conserver dans le texte cette mention de son origine, comme dans les...
Entretiens Destination Cuernavaca
mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113
| par
Jérôme Goude
En ajoutant un interlude inédit, Osselets, à Cyclone, vertigineux requiem, Frédéric-Yves Jeannet continue son œuvre monumentale : une hydre graphique habitée par une exigence de vérité et la grâce du soupçon.
Un auteur