Il a la mélancolie musicienne, Jérôme Leroy, le naturel de Raymond Carver, et la légèreté de Li Po. Son Cimetière des plaisirs déjà (1994, Le Rocher) disait le singulier, l’abrupt, le tenebroso de ce qui est perdu, les brûlures qui révèlent l’accord et l’écart, l’éblouissante évidence aussi de la beauté adolescente, de cette souveraineté physique qui illumine. Depuis les choses n’ont fait qu’empirer dans un monde où triomphent « l’enfer marchand », le Spectaculaire et toutes les formes de « soumissions informatiques ». Tout ce que nous avons aimé a disparu déplore l’auteur. Alors il se souvient de comment c’était « l’Atlantide » avant que ne commence « l’invasion », qu’il date du martyr et de la mort de Pasolini « massacré en 1975 sur la plage d’Ostie / Par de petites crapules bandantes ». C’était « les lits défaits au soleil de l’été / Journaux épars romans ouverts / Draps en désordre et fille avec cigarette. » C’était l’époque où il roulait en Crossfire, « 14 litres au cent » : « C’était beau et inutile / C’était juste et absurde / Comme d’être marxiste. »
Une petite « mythologie portative » que ce livre, un voyage à rebours entre rêves et désillusions, grâce et gouffre, épiphanie et crépuscule. Une quête du secret léger du temps quand se préoccuper de littérature et de sentiment n’était pas encore suspect, quand l’abandon confiant au monde était encore possible. Temps des nuits éclairées par les amphétamines, les alcools forts et le sexe, les livres et les conjonctions de soleil et d’océan.
Il y a de la saudade et du lyrisme du désenchantement derrière ce tempo désaccordé du cœur d’un mortel qui voudrait que le monde ait encore « le goût d’une bouche / Le poids d’un sein dans la robe en lin ». En opposant ces moments d’éternité éphémère à « la puissance de feu de la mélancolie », Jérôme Leroy tient sa vengeance, celle de poèmes qui ont les vertus du pastis qu’il va boire aujourd’hui « Dans les bambous / Au fond du jardin », et la simplicité grave des sources. Des poèmes qu’un jour peut-être, une jeune fille dira, « dénudée dans le temps libéré. »
UN DERNIER VERRE
EN ATLANTIDE
de JEROME LEROY
La Table ronde, 128 pages, 14 €
Poésie Un dernier verre en Atlantide
mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111
| par
Richard Blin
Un livre
Un dernier verre en Atlantide
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°111
, mars 2010.