Dans le Japon en crise des années 1930, des conteurs surgirent à l’angle des rues pour faire défiler des papiers cartonnés dans un petit dispositif en bois ; au verso de ces illustrations peintes à la main, les grandes lignes d’un récit (comique, mélodrame, aventure), sur lesquelles les conteurs improvisaient, modulant leur voix sur celle des personnages, faisant résonner gongs et tambours : voici l’art du kamishibai ou théâtre de papier. Dans ce livre aussi beau qu’émouvant, les photos d’enfants attroupés devant les proscenium miniatures alternent avec les reproductions d’aquarelles recouvertes de laque (qui fait briller) puis de cire (qui protège de la pluie) : Le prince de Gamma, La nuit des Ninja, Rue des rêves… Eric P. Nash raconte ces histoires et la technique composite des illustrateurs : fin tracé typique de la peinture à l’encre japonaise, recherche d’une efficacité immédiate à la mode d’Hollywood (montage alterné, profondeur de champ, gros plan).
À la grande époque, cet art de masse attire un million de gamins dans les rues. Quand la télévision apparaît, on la surnomme denki kamishibai - théâtre de papier électrique -, ce qui montre assez l’emprise des conteurs. La police et les autorités locales s’en méfient ; les Américains aussi, quand ils occuperont le Japon défait : « Bien que le talent des peintres de kamishibai soit assez inégal, ils produisent des tableaux très riches, très impressionnants, avec des couleurs vives et d’un trait assuré », note alors un censeur. La puissance esthétique du théâtre s’est vite trouvée contrôlée, selon les oscillations de l’Histoire : instrument de propagande soutenant l’effort de guerre, puis moyen d’enseigner à construire des abris anti-aériens, puis support faisant la publicité du base-ball et du nouveau système politique (la demokrashi) et, quand les Américains partent et qu’il redevient permis de faire référence à la bombe, outil pédagogique décrivant les maladies dues aux radiations. « Les kamishibai ne sont plus faits pour divertir mais pour expliquer comment survivre », conclut tristement l’auteur.
manga kamishibai
d’eric p. nash
Traduit de l’américain par Jean-Yves Cotté,
La Martinière, 304 pages, 28 €
Textes & images Manga
mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111
| par
Gilles Magniont
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Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°111
, mars 2010.