Ecrit pour une pièce de théâtre créée en mars dernier, ce monologue déroule l’écriture la plus fluide que Chloé Delaume n’ait jamais donnée et se lit comme une nouvelle ou un récit. Celle qui parle a 28 ans, est jolie si l’on en croit ce que lui disent les infirmières. Elle est arrivée aux urgences d’un hôpital après sa sept ou huitième tentative de suicide. Elle attend le psychiatre ou qu’on vienne s’occuper d’elle, elle n’attend rien en fait de celui qui viendra, excepté s’il s’appelle la mort. Adèle s’appelle Trousseau et ça tombe bien : elle porte dans son corps plus d’une voix qui s’interposent entre elle et l’extérieur dans des discussions et des disputes sans fin. D’où un grand silence et l’oubli définitif qu’elle souhaite. Elle a réuni ses voix en elle et elles ont voté la mort : « Je me suis longuement concerté et dedans on était d’accord, toutes d’accord, pour une fois. La mort et qu’on n’en parle plus. » Ultime monologue donc, d’une « thanatopathe » selon le néologisme qu’elle invente pour dire ce dont elle souffre : la maladie de la mort.
Exposé ainsi on craindrait un texte tuant, désespérant et morbide. Il n’en est rien. On rit plus d’une fois sans se départir d’une vraie sympathie. Adèle évoque les voix qui l’habitent et qu’on entend, fomente un discours pour échapper à la psychiatrie, évoque les suicides les plus propres, parle des hommes qui l’ont fuie (« C’est incroyable ce que le couillidé peut avoir comme instinct de survie. »). Elle évoque sa mort avec l’évidence des magazines féminins (« Les nihilistes, c’est très mignon, ça porte le tweed comme personne. »). Mais on n’est pas dupe : cet humour-là est une ultime élégance. Adèle, double de Chloé (qui elle compte une douzaine de T.S.), livre aux autres ce qui la tue, comme en une autopsie pré-mortem, précise et claire. Et puis, rideau !
ÉDEN MATIN MIDI ET SOIR
DE CHLOÉ DELAUME
Joca Seria, 45 pages, 10 €
Domaine français Eden
mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103
| par
Thierry Guichard
Un livre
Eden
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°103
, mai 2009.