On redouterait presque, en parcourant leur site, que les éditions Attila soient frappées d’amnésie. Sur la toile, leur première vie est un peu passée à l’as. « Nous manquons juste de temps », expliquent en chœur Benoît Virot et son associé Frédéric Martin, tout occupés au lancement de leurs nouveautés. Car depuis le début de l’année, la maison attilesque a revu ses positions, et élargi ses horizons. L’association est devenue une SARL. La diffusion, confidentielle jusqu’alors, est dorénavant assurée par Le Seuil. Pas avare en efforts, le duo annonce la parution de dix à douze textes par an. Avec de telles promesses de bonheur, il fallait fêter l’événement : ce fut le cas fin mars à Paris au théâtre de la Madeleine, grâce aux bons soins de Jeanne Moreau, conquise par la lecture du très beckettien La Tombe du tisserand, de l’Irlandais Seumas O’Kelly (1878-1918), fraîchement sorti. Si l’on ajoute le Fuck America d’Edgar Hilsenrath (cf. p. 40) et Le Rapetissement de Treeborn du dessinateur américain Edward Gorey, Attila entame donc sa mue en fanfare. Trois livres (un auteur contemporain, un texte négligé, un ouvrage hybride) et trois formats différents : « c’était important de ne pas ghettoïser la maison d’édition », résume Frédéric Martin.
Les deux trentenaires se sont rencontrés il y a deux ans par l’entremise du magazine Le Tigre. Benoît Virot avait participé à sa création ; Frédéric Martin, lui, y faisait office de « conseiller occulte « . » Benoît est un très bon lecteur, mais je n’étais pas sûr qu’il soit un très bon éditeur. Pour moi, un éditeur c’est celui qui se préoccupe de trouver des lecteurs aux textes. » Frédéric Martin sait de quoi il parle. Diplômé d’une école de commerce, ce Marseillais, qui vécut à Tahiti, a travaillé de 2001 à 2007 aux côtés de Viviane Hamy, contribuant à la découverte de la Hongroise Magda Szabó ou au succès de L’Art de la joie de Goliarda Sapienza. Après un septennat, il souhaitait tourner la page. Monter une maison d’édition, par exemple. « Mais pas seul. » Benoît Virot, lui, est né en 1978 à Sens, sous-préfecture littéraire s’il en est, où résidèrent un temps Mallarmé et Roger Rabiniaux, et qui compte toujours « un spécialiste de Queneau et l’ancien médecin de Pierre Bettencourt » parmi ses concitoyens. Il grandit à l’Oulipo, et place Gadenne et Giono très haut dans son Panthéon.
Les deux sont faits pour s’entendre : une idolâtrie commune pour Raymond Roussel, un même goût pour les écrivains-dessinateurs, une admiration pour le travail d’Éric Losfeld et de Jean-Jacques Pauvert - que Frédéric Martin fréquenta de plus près lors de l’édition de ses mémoires, La Traversée du livre, parues chez Viviane Hamy. « J’ai compris qu’un homme de goût était forcément un homme éclectique. Quel éditeur actuel affiche avec une telle insolence son bon plaisir ? Pauvert a également fait travailler les plus grands maquettistes de l’époque : Jacques Darche, Massin, Pierre Faucheux. Son édition des 120 journées de...
Éditeur Vaincre le conformisme
Bâties dans l’élan d’une revue remarquable, les éditions Attila défrichent le terrain littéraire avec une boulimie gourmande. Rencontre avec Benoît Virot (à gauche) et Frédéric Martin (à droite), deux jeunes hommes pressés, joyeux et curieux.