De l’écriture nue, brûlante, enveloppante. Un livre envoûtant, allant à la rencontre fascinée d’une réalité mouvante. Un livre-tombe sondant l’amer mystère de l’amour - « comme si « jetaime » avait pour synonyme : nous allons mourir », ouvrant, offrant le lit de ses pages à la frénésie des amants fous et à leurs fêtes sanglantes. « Ne nous y trompons pas : cette étrange et terrible histoire n’est pas la mienne, d’autres en d’autres noms l’ont subie, et je l’avais déjà cent fois lue. C’est pourquoi, ayant ces lectures, cette mémoire, et cette terreur, j’essayai d’en détourner le cours et de la contre-écrire, (…), entreprise aussi absurde mais enivrante que de faire dire à l’être qu’il n’est pas. »
Tombe, un titre prédestiné pour un livre qui ressuscite, puisque paru en 1973. Quand elle l’écrivit, en 1970, Hélène Cixous avait 33 ans. Née à Oran, spécialiste de Joyce, prix Médicis 1969, avec Dedans, son deuxième livre, intime de Jacques Derrida, elle a été à l’origine de la mythique université de Vincennes, comme de la revue Poétique (avec Genette et Todorov). Pour elle, l’écriture passe à travers tout le corps, et la différence sexuelle – la déesse (DS) comme elle dit – s’y inscrit à travers des modes de dépense et de jouissance très spécifiques. Adepte de la déconstruction du Sujet, elle ne croit pas à un Sujet-un, stable et parfaitement identifiable, et revendique la nature subjective et excessive de celui qui dit Je. D’où une écriture hantée par la présence pulsionnelle du corps, et une énonciation assumée par un Je éclaté et pluriel, en métamorphose continuelle, déjouant les identités, et sécrétant le texte comme produit d’un désir où s’entrelacent à la fois de l’inconscient et du sexuel, du rêve et du mythique, de l’autobiographique et du secret.
Une écriture hantée par la présence pulsionnelle du corps.
Tombe est un texte oscillant entre séparation et réparation, désir d’un amour qui ne pourra jamais être et souvenir d’un amour qui a été. « Textamant » qui est travail de remembrance et tourbillon de passion, d’adoration et de filiations s’organisant autour de la figure de Dioniris, un dieu rassemblant deux divinités en une (Dionysos le deux-fois-né et Osiris, le dieu mort ressuscité), et qui aurait pour double Adonis, le trop beau, que l’amour et la mort – Aphrodite et Perséphone – se disputent. Dioniris, dont le parfum traverse les temps et fait écrire. « Lui les pages moi les voiles lui le souffle moi l’effroi, (…), lui le risque moi le remous et la mémoire lui l’oubli moi la phrase… »
Comment décoller la mort de l’amour ? Comment aimer comme au temps des légendes, avec la mort en tiers ? Ce sont les échos de ce combat que nous donne à entendre Hélène Cixous, à travers la réalité sonore de son texte. Jouant des effets de sens libérés par le jeu des signifiants, tout autant que des effets de jouissance dus à la source corporelle de son écriture, elle laisse arriver l’inouï, donne voix aux forces obscures et à ce mélange de malédiction et d’enchantement qui module le chant de son désir et sa quête de l’impossible. « L’un(e) d’entre moi doit écrire ce que je ne peux pas écrire, pas regarder en face même à travers l’écriture, même avec l’écriture de travers ».
S’approcher au plus près de l’interdit et de l’aveu tout en sachant que quoi qu’on avoue, il restera toujours de l’inavouable. S’aventurer jusque là où la mort fait son nid dans l’amour, c’est ce qu’ose, magnifiquement, Hélène Cixous. À l’image de tous ceux qui témoignent et montrent que la littérature est « fouille et cathédrale, labyrinthe, calcul, géométrie et forêt vierge, théâtre jusqu’au bout des mots ».
Tombe deHélène Cixous
Seuil, 240 pages, 17 €
Domaine français Sexe d’or
octobre 2008 | Le Matricule des Anges n°97
| par
Richard Blin
Porté par les mouvances du désir, nourri de poéticité et voué à traquer l’impossible, un roman ressuscité d’Hélène Cixous.
Un livre
Sexe d’or
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°97
, octobre 2008.