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Zoom Présences intimes

septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96 | par Sophie Deltin

Avant de s’éteindre en juin dernier, le Suisse Gerhard Meier avait composé un beau récit d’amour à la mémoire de sa femme disparue.

Habitante des jardins

Entrer dans le monde de Gerhard Meier, c’est un peu comme pénétrer dans un royaume où redevenu humblement disponible aux êtres, aux choses et à la nature, l’on se repaît dans la douceur et la mélancolique sérénité de la contemplation. Pour sûr, rien d’héroïque ni de spectaculaire dans cet espace simple, sobre et pourtant intensément nuancé, qu’on s’en étonnerait presque de tomber si rapidement sous le charme d’un livre sans intrigues, sans péripéties - où il ne se passe à proprement parler rien. Ce qui semblerait chez d’autres, mièvrerie, insignifiance, lenteur, devient, sous sa plume, ouverture originelle et captation sourde, continue, des pulsations propres au mouvement de fond de l’existence.
À l’image de ce rythme primordial semble d’ailleurs s’être écoulée la vie sans heurts de Gerhard Meier : né à Niederbipp, près de Soleure, en 1917, où il vécut retiré dans la maison de ses parents, il y connut trente années de travail dans une fabrique de lampes comme mécanicien puis cadre d’usine. Après une période de vingt ans sans écrire, il reprit finalement l’écriture jusqu’à réussir à en vivre. Consacré par plusieurs prix littéraires (dont le prix Pétrarque, le prix Hermann Hesse, le prix Heinrich Böll), il se voit décerné en 1979, la moitié du prix Kafka par Peter Handke qui le lui aura cédé sans le connaître personnellement.
Ainsi va le monde agrandi, distendu et dilaté de Meier.
Dans Habitante des jardins, une adresse intime à sa compagne décédée en 1997 avec qui il partagea sa vie, soixante ans durant, l’écrivain bernois de langue alémanique multiplie souvenirs, détours et déambulations, ceux-là même qui ont fait de leur existence commune une mise en chemin ininterrompue. Placé sous le signe vivifiant de Nietzsche, marcheur féru des hauteurs de Sils-Maria, Meier nous parle des lieux qu’ils ont traversés, de ce qu’ils ont regardé, senti et entendu, et que cela se soit passé depuis longtemps (avant ce qu’il appelle, dans un poignant euphémisme, le « départ » de Dorli) ou en train d’être à nouveau vécu, c’est là, souverain et intact, qui respire et frémit. Ainsi de ces choses toutes simples comme une flânerie à deux le long d’un lac, tout près du Jura bleuté ou sous le regard de la Grande Ourse. Mais aussi l’écoute d’un air de Chopin, ou bien, le seul fait d’être assis sous un arbre à regarder des fleurs : elles sont présentes, les roses, les anémones et les pivoines fanées, et que l’écrivain les hume, les revoit en rêve ou en écriture, ces fleurs existent, suspendues dans le champ d’une vie plus ample, et c’est bien là tout ce qui importe.
Sans doute n’y aurait-il pas cette célébration - toute walsérienne - de la plus petite chose, de la moindre turbulence dans l’ordinaire, sans la présence du vent, qui dans chacun des livres de Meier nous soulève, pour nous emporter au-delà des frontières de l’espace et du temps. Le vent, c’est le souffle qui vient de la montagne toute proche en surplomb de la campagne soleuroise, et qui depuis le petit village d’Amrain, nous emmène en Italie, en Autriche ou jusqu’en Russie ; c’est l’élément pneumatique qui, par ses effleurements, permet d’annuler les cloisons du temps, ainsi que toutes les oppositions grossières et bien tranchées entre l’art et la vie. Ainsi va le monde agrandi, distendu et dilaté, de Gerhard Meier : tout s’y écoule, glisse et dérive, tout s’y interpénètre d’une mise en relation discrète. Divagations, rêveries, imaginations, tableaux ou descriptions de réel, on ne sait trop finalement comment il faut le prendre. De même, on ne sera (plus) surpris si parmi les vivants, il nous arrive souvent de croiser des morts - en premier desquels Dorli, qui vient en rêve « flottant plus que marchant » - aussi bien que des « personnages de vent », inventés : la Lara de Jivago, ou encore, Baur et Bindschädler, les deux personnages de Meier dont il n’aura depuis L’Ile des morts (1979) - premier volet de sa trilogie - cessé de poursuivre le dialogue.
Très souvent, dans cette topographie élargie, on déambule dans les pensées des uns (Kleist, Fontane), les visions des autres (Rilke, Caspar David Friedrich, Proust), et avec ce décentrement constant, se produit une coprésence essentielle, qui honore les concordances secrètes entre les choses de l’esprit et celles du monde, l’imaginaire et le réel. Fluide, pénétrante, la prose de Meier a quelque chose de l’ordre musical, au point d’ailleurs de se donner comme une partition tout en étirements, reprises de lignes mélodiques et variations. Puissante à force de pudeur, presque étrange par tant de tact, un rayonnement vital s’impose dans Habitante des jardins. La capacité de comprendre l’existence, sans doute, en son « art de laisser advenir les choses », et de la célébrer telle une offrande continue.

Habitante des jardins de Gerhard Meier
Traduit de l’allemand par Marion Graf
Éditions Zoé, 64 pages, 10

Présences intimes Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°96 , septembre 2008.
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