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Histoire littéraire Delteil en son royaume

septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96 | par Dominique Aussenac

Près de Montpellier, l’écrivain-paysan fit de sa maison de vie son domaine de création. Un ouvrage est né de cette union : La Deltheillerie.

Certains lieux, à l’instar d’amants, attendent pendant des siècles l’être qui les magnifiera. Il en est ainsi de La Tuilerie de Massane, son parc et sa maison de maître, située sur la commune de Grabels, juste au-dessus de Montpellier, au milieu de vignes et de garrigues. L’élu a une tête d’écureuil, des yeux furtifs, une fine moustache, un accent rocailleux et souvent un béret sur la tête. Il est frêle et fragile des poumons cet homme-là qui récolte le prix Fémina en 1925 pour son très controversé (honni par les conservateurs, répudié par les surréalistes) et sensuel Jeanne d’Arc. Pourtant ce presque cacochyme (on dut construire un ascenseur pour lui permettre de gravir l’étage de sa demeure) a irradié ce lieu et son œuvre d’une force de vie d’une puissance exceptionnelle. Solaire, hellénique, occitane, panthéiste… Si la Tuilerie n’a jamais produit la moindre tuile, - ce serait la traduction écorchée de Theillerie, lieu planté en theil plante voisine de la menthe -, Joseph Delteil rebaptisera cette « espèce de vieille métairie à vins, à lavande et à kermès, à demi abandonnée, et dont j’ai fait une oasis dans le désert, un point de vie comme il y a des points d’eau : la Deltheillerie »
Né en 1894, à Villar-en-Val, dans les Pyrénées audoises, (son père produisait du charbon de bois, sa mère, analphabète, rêvait de le voir prêtre), Delteil exerça mille métiers : clerc de notaire, percepteur de contributions indirectes, fonctionnaire au ministère de la Marine, représentant en blanquette de Limoux à Paris, viticulteur… Et eut trois vies littéraires. La première, symboliste, l’amena à publier Le Cœur grec en 1920. La deuxième, surréaliste, lui permit de fréquenter Mac Orlan, Desnos, Lhote, Supervielle, Larbaud. S’est-il brûlé les ailes dans la capitale, ruiné sur les champs de course et dans les casinos ? La troisième vie, la maladie aidant, fut un retour aux sources, aux choses simples.
C’est en 1937, qu’il s’installe à la Tuilerie avec sa femme Caroline Dudley, fondatrice de la Revue Nègre qui lança Joséphine Baker. La maison meublée de manière assez fruste prit rapidement des airs de cabinet de curiosités. Au milieu de la salle à manger trône un poêle vétuste, deux ou trois lampes diffusent une lumière accueillante, d’un vase jaillissent de gigantesques plumets d’herbe de la pampa, des œuvres d’art originales (Chagall, Delaunay) parfois simplement punaisées aux murs côtoient bonbonnes, livres, fossiles, objets insolites. L’écrivain « organisait sa demeure comme un musée dont il devenait tout naturellement la pièce maîtresse », rapporte Robert Briatte dans Qui êtes-vous ? Joseph Delteil (La Manufacture, 1988).
À la Tuilerie, Delteil devient vigneron. Il produira du vin, de la cartagène et même de la blanquette comme à Limoux, semblant déjà respecter les règles de la bio-dynamie. « La plupart de ses bouteilles étaient posées à même le sol encapuchonnées par de petits filtres coniques sur lesquels il inscrivait méticuleusement date et conditions d’embouteillage : 8/3/72, lune vieille, vent variable, 1er choix », se souvient le photographe Camberoque. Delteil écrira là ses œuvres les plus abouties Jésus II ou François d’Assises. Il y développera aussi le concept de paléolithie, sorte de « sensibilité primitive ». « Lorsque je me rengorge de ma paysannerie, et me pavane de mes instincts en bandoulière, lorsque je me jette comme un fou dans le surréalisme, lorsque je prône l’analphabétisme, pardi c’est la pure paléolithie », explique-t-il dans La Deltheillerie (Grasset, 1968). Cet ouvrage est tout à la fois reconstruction du monde, partage d’une intimité, éloge d’un plaisir de vivre. « Au fronton de ma maison des champs, j’ai inscrit la formule sacrée de Confucius VIVRE DE PEU. La civilisation moderne voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice. Une tentative pour remplacer l’homme en chair et en os par l’homme robot. Tout est falsifié, pollué, truqué, toute la nature dénaturée ». Dans le même esprit, Delteil consacrera un livre à La Cuisine paléolithique, dédié à la cuisine brute, « comme il y a l’art brut », glorifiant oignons, haricots, escargots, soupes, grillades… Superbe travail de l’éditeur Robert Morel : la jaquette de l’ouvrage recouverte d’un torchon de cuisine gris liseré de rouge est brodée aux initiales de l’auteur, un anneau permet de l’accrocher entre tresse d’ail et salaisons…
Joseph Delteil meurt en 1978. Sa femme, Caroline en 1982. En viager depuis 1955, la Tuilerie de Massane est maintenant à l’abandon, les vignes, la garrigue ont disparu, le monde que l’écrivain, écologiste avant l’heure, dénonçait, bétonne à tout va. Elle a échappé une première fois à la voracité des promoteurs grâce à l’obstination d’un enfant de Grabels, Jean-Paul Cour, pour qui la rencontre avec l’écrivain dans les vignes, à l’âge de 10 ans, restera une tendre et féconde illumination. Ce dernier milite pour qu’une collectivité puisse racheter ce lieu chargé de mémoire, qui accueillit Henry Miller, les époux Delaunay, ou encore Pierre Soulages, converti en 1943 régisseur de domaine viticole pour échapper au service de travail obligatoire en Allemagne… « La Deltheillerie, ce n’est pas seulement la maison des Delteil, mais (…) les opinions, sentiments, goûts et dégoûts, mœurs et humeurs, manies, fatrasies et foutrasies, colères, passions, tics, tout le bric à brac Delteil » (in La Deltheillerie).

Delteil en son royaume Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°96 , septembre 2008.
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